Autrefois, on disait à ceux qui passaient leur temps à guetter les autres : «Barka ma tweqeb !» (arrête de surveiller les gens). On disait aussi : «Barka ma tdjesses» (arrête d?espionner) et même «barka ma tispiouni», où «ispiouni» n?est que le mot français «espionner». Aujourd?hui, on dit surtout : «Barka ma tqarâdj !» L?expression stigmatise la curiosité, l?espionnage même, mais avec une plus grande intensité. Le «tqarîdj» c?est non seulement le fait de surveiller les autres, mais aussi l?intention de se mêler de leurs affaires, voire de leur nuire. Le verbe «qarâdj», comme le nom qui en dérive «tqarîdj», paraissent bien énigmatiques : la racine serait-elle d?origine turque, ainsi que semble l?indiquer le suffixe «dj», formateur de noms d?agents ? On le retrouve bien dans «qahwadji» (cafetier), «qahwa» (café), «saâdji» (horloger, puis bijoutier) à partir de «saâ» (montre), etc. Le suffixe du mot est peut-être turc, mais la racine, elle, est bien algérienne : «qaraâ» (bouteille). Le «tqariîdj» c?est? le remplissage de bouteilles ! L?image est originale mais très suggestive : le curieux, l?espion qui passe son temps à surveiller les autres, met en bouteilles non pas de l?eau ou de l?huile, mais des informations : «I âmmar leqraâ», dit-on littéralement : «Il remplit des bouteilles». Inutile de dire que le «remplisseur de bouteilles» est mal vu. Même si parfois il n?agit que par curiosité, on lui prête toujours l?intention de chercher à nuire. Surtout quand il s?agit d?une «remplisseuse» : à la curiosité tant décriée, on ajoute la convoitise?