Septembre 1955... Le capitaine Serge Maurier et sa femme Irène sont allongés dans un transat, sur le pont des premières classes du paquebot «Tuléar», qui les ramène de Madagascar où ils viennent de passer deux ans en garnison coloniale. Irène et Serge Maurier transpirent à grosses gouttes... Il ne faudrait pas imaginer cette traversée comme une croisière d'agrément. En 1955, on utilise le bateau parce que l'avion n'est accessible qu'à un petit nombre de privilégiés. Et ce long trajet jusqu'à Marseille, qui s'effectue par l'océan Indien, la mer Rouge, le canal de Suez et la Méditerranée, est très éprouvant. Nous sommes au large de Djibouti. L'équateur est encore proche et jamais, sans doute, la chaleur n'a été aussi accablante. Irène et Serge Maurier se sourient pourtant. Depuis dix ans qu'ils sont mariés, c'est un couple uni. Elle est cultivée, fine, sensible, un peu nerveuse parfois ; lui a les qualités qu'on peut attendre d'un militaire : les pieds sur terre, de l'autorité, de l'équilibre. Bref, ils se complètent et leur entente s'est matérialisée par deux garçons, Jean-Pierre, sept ans, et Michel, dix mois, qui est né lors de leur séjour dans la grande île. Leurs enfants, justement, sont restés dans la cabine. Miche a été laissé dans son berceau ; pas question de l'emmener dehors par cette chaleur. Bien sûr, en cette année 1955, la climatisation n'existe pas sur les navires, mais le nourrisson a quand même près de lui un ventilateur, qui apporte un peu d'air, à défaut de fraîcheur. Quant à Jean-Pierre, il a préféré rester sur sa couchette. Il ne se sent pas bien : le mal de mer. Irène Maurier pose la revue d'actualités qu'elle était en train de lire. — Je vais aller voir ce que deviennent les enfants. Serge Maurier a un signe de tête approbateur. — Je viens avec toi... Le capitaine et sa femme descendent l'escalier. Depuis le couloir, les pleurs de leur bébé sont déjà perceptibles. Quand ils ouvrent la porte de la cabine, ce sont des cris assourdissants qui les accueillent... Irène s'approche du nourrisson et lui passe la main sur le front. — Il a chaud... Il est vrai que, malgré le hublot ouvert et le ventilateur qui vrombit près du berceau, il règne une chaleur d'étuve. Irène prépare un biberon d'eau sucrée et prend son fils dans ses bras. Mais celui-ci refuse de boire. Il crie plus fort encore, il est secoué de sanglots. A présent, ce sont de véritables hurlements qu'il fait entendre. C'est assourdissant ! Irène Maurier, qui elle-même, est à bout à cause de la canicule, perd patience. — Ah, si tu cries comme ça, on va te passer par le hublot ! La voix de sa mère doit avoir un effet apaisant, car le petit Miche se calme et se tait tout à fait. Elle peut lui donner son biberon. Serge Maurier prend la parole avec un rien d'inquiétude. — Tu ne crois pas qu'il faudrait l'emmener chez le médecin du bord ? — Nous l'avons déjà vu. C'est normal par ces chaleurs. Beaucoup d'eau pour éviter la déshydratation. C'est la seule chose à faire. Le biberon terminé, Irène remet l'enfant dans son berceau... — Et moi, tu ne t'occupes pas de moi ? C'est Jean-Pierre, alité dans la couchette à côté, qui se manifeste pour la première fois. Irène Maurier s'assied auprès de lui. — Mais si, j'allais venir. J'ai d'abord été voir Miche! parce qu'il est le plus petit. Comment cela va, mon grand ? — Tu le sais bien. J'ai le mal de mer. — Cela va passer... A tout à l'heure. (A suivre...)