Blidet Amor C?est une toute petite oasis pas très loin de Tamacine, près de Touggourt. Ici tous les habitants sont de race noire. Ils parlent un berbère très doux, aux consonances soudanaises. Ils sont tout de blanc vêtus et pratiquent un islam de fraternité. Sous les palmeraies, les branches des grenadiers, des abricotiers et des néfliers ploient sous le poids des fruits d?or et de pourpre qu?ils portent. Les ruisseaux du paradis gazouillent avec les étourneaux. A Blidet Amor, tous les habitants, depuis plusieurs générations, sont des adeptes assidus de la tarika Tidjania. Le nom de Sid Ahmed Tidjani y est vénéré. Plusieurs chouyoukh, à la recherche d?une paisible retraite, l?ont trouvée dans cette communauté bénie. Ils y ont médité et prié leur Dieu dans la sérénité de ce lieu. Combien de mystiques ont-ils connu le repos de l?âme dans ces frais ombrages ! Un jour, un homme, grand et mince, les traits émaciés et la voix caverneuse, lorsqu?il consentait à parler, vint à Blidet Amor. Il disait s?appeler H?zem. L?on sut qu?il était un grand initié de la Voie, bien qu?il ne participât pas assidûment aux cérémonies du dhikr. Mais il gagna très vite le respect des grands initiés. Ceux-ci dirent de lui qu?il apprivoisait les chimères et qu?il apaisait la douleur. Au milieu de la nuit, il se faisait conteur. Quand les yeux de l?assistance étaient rivés sur sa bouche et sur ses yeux, le temps se faisait esclave soumis et il se mettait à faire chaud ou très froid, selon qu?il parlait de l?hiver ou de l?été. Un jour, un chacal enragé et qui avait semé la peur et la maladie dans toute la contrée vint, dégoulinant de bave et les yeux injectés, se blottir en frémissant, aux pieds de H?zem, mendiant une ultime caresse, devant l?assistance horrifiée. Lorsqu?il rendit son dernier râle, il jeta un long regard au Maître et tous virent dans ses yeux, comme un flamboiement. H?zem garda longtemps le silence, les doigts appuyés sur le front. Il versa des larmes. Puis il prit très doucement entre ses bras, la dépouille du fauve et, la tête baissée, le dos voûté, les épaules secouées de sanglots, il partit vers le nord à petits pas, sans se retourner une seule fois. Personne ne le revit plus ni n?entendit parler de lui. Les initiés expliquèrent que la douleur du chacal s?était anéantie dans les creusets originels de l?amour et de la bonté pure. Mais elle était tellement immense que, dès lors, il n?y avait plus de place pour rien d?autre?