L?on raconte qu?aux temps anciens, il y avait trois amis, inséparables, artisans de leur état, voyageant de ville en ville pour exercer leur métier. Un soir, ils s?attardèrent à Alger, cette ville est si belle le soir ! La nuit les surprit donc aux alentours de la capitale. Ils décidèrent, alors, d?un commun accord, de camper dans un verger. L?air y était si parfumé ! Qui étaient donc ces compagnons ? Le premier était sculpteur : quand ses doigts s?affairaient, ils faisaient, comme par enchantement, d?un simple bout de bois une ?uvre d?art ! Le deuxième était un célèbre couturier : il avait le secret de transformer un morceau de chiffon en une somptueuse tenue d?apparat ! Le troisième n?était pas moins qu?un magicien ! Sous ses doigts agiles, s?envolaient des pigeons ; de son chapeau s?échappaient des lapins et de ses poches, des lutins qui n?obéissaient qu?à lui. A la lisière d?une orangeraie, les trois amis dressèrent un petit camp de fortune. Après avoir mangé et comme toujours d?un commun accord, ils décidèrent que l?un d?entre eux ferait le guet trois heures durant pendant que les deux autres se reposeraient. Bon enfant, le sculpteur proposa de veiller le premier. Pour cela, il s?installa près du feu et, histoire de passer le temps, se mit à nettoyer et à ranger ses précieux outils. Bien au chaud, sous les couvertures, ses amis dormaient déjà profondément. Soudain, le sculpteur aperçut à la lueur du feu de camp, une forme aussi souple et aussi vivante qu?un corps de femme qui frémissait sous la caresse de la brise. Il se leva et avec précaution avança en criant : «Réponds-moi, si tu es humain. Et envole-toi, si tu es djinn ! Approche-toi, si tu es humain Et disparais, si tu es djinn!». Mais la forme ne répondit, ni ne s?envola ni encore bien moins ne s?approcha ! Le sculpteur s?avança prudemment et crut reconnaître dans la pénombre la silhouette d?une femme. «Dieu qu?elle est bien faite !», murmura-t-il, admiratif. Amoureux de toute forme de beauté, l?artiste s?approcha davantage. Quelle ne fut sa surprise ! Ce qu?il prenait pour une femme, n?était en fait qu?un vieil oranger qui n?avait plus que deux branches et qu?un tronc tourmenté par le temps. Les mains expertes du sculpteur glissèrent le long de l?arbre et son imagination se réveilla : ici, c?était une poitrine arrondie et là une taille fine et des hanches généreuses. Alors, une idée diabolique germa dans son esprit : «Je vais sculpter une femme du tronc de cet arbre. Il s?y prête d?ailleurs si bien. Quelle bonne surprise je ferai au tailleur !» L?artiste se mit alors au travail immédiatement : il tailla, affina, polit avec ferveur. Trois heures après, se dressait, devant lui, une femme superbe aux formes généreuses, comme on les aimait jadis, chez nous. Le sculpteur recula d?un pas, jugea d?un ?il averti son ?uvre. Content, il alla, espiègle, tirer du sommeil le tailleur, avant d?aller lui-même s?endormir en riant sous cape. Le nouveau réveillé s?installa près du feu et, comme son ami s?affaira rangeant son nécessaire de couture, pliant méticuleusement quelques beaux tissus, quand son attention fut attirée par une forme qui ondulait et frémissait sous la lune comme une forme féminine. Il s?avança avec précaution puis s?écria : «Réponds-moi, si tu es humain. Et envole-toi, si tu es djinn ! Approche-toi, si tu es humain Et disparais, si tu es djinn !» Mais la forme ne répondit, ni ne s?envola ni encore bien moins ne s?approcha ! (à suivre...)