Médéa Mardi 8 juin 2004, un procès se tient au tribunal criminel près la cour de Médéa. Deux frères se disputent un baudet et c?est le drame? Ce qui ressort de plus troublant au cours de ce long procès qui n?en finit plus, c?est le mot «destin» qui revient sans cesse sur les lèvres de l?accusé, de la famille de la victime qui est aussi celle du mis en cause, mais encore des avocats de la défense. Il y a eu meurtre et voilà que l?on incombe la faute à Dieu, au destin et à une fatalité écrite quelque part dans le ciel. Certes, Dieu nous donne la vie et la reprend au moment voulu, certes notre destin est tout tracé quelque part, mais n?est-il pas honteux et déplacé de parler de destin, de divin dans une salle de tribunal où les membres de la cour tentent tant bien que mal de cerner les causes d?un crime qu?un homme a perpétré sur la personne de son jeune frère alors même qu?aucun différend ne les opposait, du moins jusqu?à cette date fatidique? A l?origine du drame, une vague dispute à propos d?un jeune baudet? Nous sommes le 28 juillet 2003, à Ouled Hellal, daïra de Ksar El-Boukhari, dans la wilaya de Médéa. Les H. sont une famille simple et unie. Depuis la disparition du père en 1995, A. H., le fils aîné, 43 ans, marié et père de cinq enfants, s?occupe de tout et de tout le monde. Il a une affection particulière pour son jeune frère O. H., âgé de 34 ans, marié et père d?un enfant. En ce jour tragique, à 10h, les deux frères se disputent l?utilisation du baudet. Le reste de la famille intervient et les esprits se calment pour le bonheur des uns et des autres. Quelques heures plus tard, vers 13h, une autre altercation, cette fois fatale. Le plus jeune des frères H. s?empare d?un couteau et tente d?en asséner des coups à son aîné, qui, de corpulence plus robuste, essaye à son tour de le désarmer en lui assénant un coup de bâton violent au bas-ventre. Le rein droit est atteint et dans la même nuit, O. décède à l?hôpital de Médéa, mettant en émoi toute la population ainsi que la famille et les proches qui étaient loin de se douter d?une fin aussi tragique. Le jour du procès, A. met le crime sur le dos du destin. ? «Monsieur le président, je suis un bon musulman et je crois au destin. Je ne suis pas un assassin. Mon jeune frère s?en est pris à moi et j?ai tenté de le déposséder de son arme blanche. ? Et pour cela vous n?avez pas hésité à le frapper violemment aux reins ! Allons donc ! ? Monsieur le président, c?est le destin qui a voulu que les choses se passent ainsi. Moi, j?aimais mon frère. C?est d?ailleurs moi-même qui ai organisé ses noces et payé tous les frais de la fête. Si j?avais voulu le tuer, j?aurais visé plus haut.» Tous les membres de la famille témoignent en faveur de l?accusé. «Aucun différend n?opposait les frères H.» ou encore «Je suis leur mère, Monsieur le président, A. n?est pas un criminel. J?ai enterré un fils, de grâce rendez-moi l?aîné. Rendez-le à sa femme et à ses enfants !» Le procureur de la République dresse un dur réquisitoire en mettant en exergue la gravité des faits : «Cet homme a tué son frère et semble ne pas prendre conscience de la gravité de son acte abominable. Je requiers à son encontre une peine de 15 ans de réclusion criminelle.» Mais voilà que la défense utilise à son tour le mot clé, à savoir «destin» : «Notre client s?occupe de sa nombreuse famille depuis la disparition du père. C?est Dieu qui en a décidé ainsi et on ne peut rien contre le destin. Nous demandons donc que notre client soit acquitté et revienne vivre parmi les siens !» Au terme du procès, A. H. se voit condamné à six ans de prison ferme. Il devra également verser 15 millions de centimes à sa jeune belle-s?ur, maman d?une petite fille qui devra aussi recevoir la même somme.