Résumé de la 84e partie ■ Le pasteur expliquait sa mission et Chantal écoutait la voix calme avec plaisir ; elle aimait cet accent anglais. Il prenait alors la forme d'un requin, devenait, ainsi incarné, «Dakou-woga», s'élançait à travers les ondes sur les lieux du sinistre, prenait en croupe les navigateurs en danger et les ramenait au port. Après quoi, il disparaissait aussi modestement qu'un requin qui aurait avalé son homme... ... Cette histoire de la mythologie fidjienne peut vous sembler une pure légende. Toutefois, depuis la fondation de la léproserie, on a pu constater des cas très nets de possession diabolique. Des femmes, en particulier, qui s'étaient aventurées sur l'île des Chèvres, en sont revenues dans un état indiquant l'emprise de Ramanaké. Vous savez ce qui vous attend si vous tentez l'aventure ! — Avez-vous été vous-même le témoin de manifestations de Ramanaké ? — Je vois que vous êtes sceptique, comme tous les blancs qui débarquent dans nos parages. Quand vous aurez vécu quelque temps ici, vous changerez d'avis... Cette possession d'une terre par le démon n'est d'ailleurs pas un fait unique dans les îles Fidji. Aussi ne sommes-nous pas trop de deux Eglises chrétiennes pour mener la lutte contre lui. — Ne croyez-vous pas, demanda Chantal sans trop réfléchir, qu'il serait mieux d'avoir une seule religion en face de lui ? _Chère Madame, avoua le Révérend David Hall, vous prêchez un converti... Mais il faudrait évidemment que cette unique religion fût la mienne ! Chantal comprit que, sous sa bonhomie, le pasteur wesleyen était aussi ferme que l'aumônier catholique. Elle se demanda comment ces missionnaires, si proches l'un de l'autre par la générosité et tellement éloignés par des principes rigoristes, pouvaient bien s'y prendre pour expliquer aux adeptes de Ramanaké qu'il existait plusieurs religions chrétiennes, mais qu'il n'y en avait qu'une qui, fût réellement la bonne : celle que chacun d'eux enseignait. Le Révérend David Hall, qui avait dû deviner ces réflexions, ajouta : — Je ne suis pas toujours d'accord avec la religion catholique lorsqu'il s'agit de faire des conversions ; il existe même une sérieuse concurrence entre nous. A l'heure actuelle, les lépreux de Makogaï sont divisés en trois camps les wesleyens, les catholiques et la masse des autres. Je dis bien la masse ; elle comprend les païens et les incroyants... Malheureusement, le troisième l'emporte en effectifs sur les deux premiers qui sont à peu près à égalité. Le corps médical est wesleyen, les sœurs gardes-malades catholiques : les lépreux n'ont qu'à choisir.... Mais vous, chère Madame, vais-je être dans la triste obligation de vous ranger dans le troisième camp ? Chantal se sentit gênée ; aussi préféra-t-elle riposter en attaquant à son tour : — Quand un lépreux non chrétien va mourir que se passe-t-il ? (A suivre...)