Pour que cet homme comprenne cela, il a fallu qu'il soit transformé par le miracle de la charité chrétienne ; vous avez sous les yeux l'une des plus belles réussites du Père Rivain... Chantal ne répondit pas et continua à marcher en silence. Comme le Révérend David Hall, cette sœur catholique éprouvait le besoin de parler tout le temps d'apostolat ! Quand donc rencontrerait-elle, dans cette île perdue, quelqu'un qui lui parlerait de choses plus gaies : de musique, par exemple, d'amour surtout ? Elle ne se rendait pas compte que l'amour discret, planant sur Makogaï et enveloppant l'île sous un voile de charité, dépassait les plus plus belles amours terrestres qu'elle aurait pu imaginer. Un amour qui avait réussi à se dépouiller de l'égoïsme entachant la moindre action humaine. Quand elle fut à nouveau seule dans sa maison, elle se sentit encore plus lasse et s'allongea, non plus sur son hamac, mais sur son lit. Elle ne voulait plus rester sous la véranda où elle risquait de voir passer ces faces hideuses auxquelles elle ne pourrait jamais s'habituer ! Elle resterait seule, cloîtrée à l'intérieur de sa maison, ne recevant que sœur Marie-Ange quand celle-ci viendrait lui faire les piqûres tant attendues. Demain, enfin, le traitement sauveur commencerait... Etendue sur son lit, Chantal saisit dans ses mains Jeannot-Lapin qu'elle serra très fort en le regardant fixement. L'animal en peluche, à l'oreille mordillé, prit, dans son hallucination, un aspect vivant. Jeannot-Lapin remuait, la regardait, l'écoutait et Chantal commença à lui raconter une belle histoire «Il y avait une fois, dans une île perdue du Pacifique, une petite poule toute blanche qui appartenait à un vilain bonhomme tout noir couvert de plaies. Le monstre prétendait enfermer la poule dans une cage en bois, mais celle-ci réussit à tromper sa vigilance un soir, et vint se réfugier auprès d'une toute jeune femme, belle comme une déesse, à laquelle elle demanda : — Marie-Ange, voulez-vous me garder avec vous toujours ?... Pour me protéger contre toute cette laideur qui m'entoure et pour m'empêcher de devenir folle à mon tour ? «Marie-Ange ne répondit pas mais ouvrit ses deux bras et les referma sur la petite poule qui s'y blottit pour ne plus jamais voir ce qui lui faisait peur.» Chantal avait porté Jeannot-Lapin à ses lèvres et le couvrait de baisers. en lui murmurant : Maintenant, tu peux dormir, mon chéri, fais de beaux rêves...» La première piqûre au bras droit, faite le lendemain, fut douloureuse et laissa la moitié du corps de Chantal engourdie. Marie-Ange l'aida à s'allonger dans le hamac pendant que la petite lépreuse, envoyée par l'ouvroir, faisait le ménage et préparait le déjeuner. (A suivre...)