Résumé de la 96e partie ■ Fred semblait ne prêter qu'une médiocre attention à Aghate et gardait les yeux obstinément rivés sur Chantal. Elle avait connu trop de regards semblables pour éprouver le moindre doute sur les sentiments intimes du jeune médecin. Elle fit cependant l'impossible pour éviter le visage interrogateur de ce grand garçon dont les yeux reflétaient une candeur d'enfant. Ce qui n'empêcha pas la rousse Agathe de la dévisager à son tour avec une expression de rage folle. La jeune femme sentit qu'une fois de plus sa beauté lui avait fait une ennemie, et ceci dans une île perdue du Pacifique où elle aurait dû espérer, trouver enfin la tranquillité. Elle oubliait que sous toutes les latitudes, les sentiments violents restent les mêmes. Agathe aimait Fred et n'admettait pas qu'une inconnue, une lépreuse par surcroît, vînt s'immiscer dans ce bonheur patiemment préparé et attendu, depuis des années, en cette île affreuse où elle avait passé une jeunesse solitaire. Le jour où elle avait vu débarquer, deux années plus tôt, le médecin américain à Makogaï, la fille du pasteur avait repris goût à l'existence. Ce beau garçon lui donnait le droit d'espérer : elle ne terminerait pas ses jours vieille fille dans cet enfer, isolée au milieu des monstres. Fred ne resterait pas éternellement à Makogaï où il était seulement venu faire un stage pour étudier la lèpre ; ensuite il retournerait dans son pays, dans une grande, cité moderne - San Francisco - où il prendrait la direction du pavillon des lépreux dans le plus bel hôpital de la ville. Il l'emmènerait parce qu'elle serait sa femme : il le lui avait promis... Agathe pourrait vivre enfin l'existence à laquelle avaient droit sa jeunesse et sa beauté. La Parisienne était belle, mais heureusement elle avait la lèpre... Ce qu'il fallait à Fred, c'était une femme saine qui lui donnerait de beaux enfants. Agathe ruminait toutes ces pensées pendant le prêche de son père et Chantal devinait, grâce à cette étonnante sensibilité, que seules les femmes possèdent, les moindres aspirations de la jeune fille rousse. Si celle-ci avait su à quel point Chantal s'intéressait peu à Fred, elle aurait été rassurée ! Si c'était nécessaire, la jeune femme n'hésiterait pas à tranquilliser la fille du Révérend David Hall. La silhouette d'un seul homme se détachait perpétuellement dans l'imagination et le cœur de Chantal : celle de Robert. Elle aurait voulu expliquer ces choses tout de suite à Agathe pour faire cesser le malentendu, mais, comme c'était impossible parce que le prêche du pasteur était interminable, elle préféra quitter doucement le temple sur la pointe des pieds... Elle croisa, sur le chemin de sa maison, une troupe de bambins fidjiens habillés en boy-scouts et défilant en bon ordre, fanions déployés. Chantal n'avait pas encore rencontré la sœur Marie-Sabine qui les accompagnait ; cette dernière lui fit un sourire si engageant qu'elle n'hésita pas à lui demander au passage : — Bonjour, ma sœur. Ces enfants sont-ils malades ? (A suivre...)