Tragédie L?homme souffrait du fait qu?il ne pouvait pas écrire en arabe. Et écrire en français était, pour lui, un fardeau lourd à porter. Une douleur, un exil. Il met fin à l?écriture. Sa plume s?est suicidée. Malek Haddad reste un écrivain atypique. Atypique parce qu?il a connu une existence littéraire bien particulière, différente de celle des autres romanciers et poètes qui étaient ses contemporains. Malek Haddad a renoncé à l?écriture, bien qu?il possédât une plume extraordinaire et une verve poétique fulgurante et exceptionnelle. Ce fut un choix personnel et intentionnel. Il a renoncé à l?écriture parce qu?il s?est senti isolé, coupé de son algérianité. Le fait d?écrire en français et de ne pouvoir traduire ses pensées et sa sensibilité dans la langue arabe était, pour lui , un handicap. Une langue qui lui échappait et qu?il ne maîtrisait guère. Il disait d?ailleurs : «La langue française est mon exil», contrairement à Mouloud Mammeri qui, lui, ne cessait de professer qu?«il n?est question ni d?exil ni d?aliénation» à propos de la langue française, ou encore à Kateb Yacine qui criait sur tous les toits que «la langue française est un butin de guerre». Un héritage. Si les écrivains contemporains de Malek Haddad assumaient leur fonction d?écrivain de langue française et s?acceptaient comme des francophones à part entière, ce n?était cependant pas le cas pour Malek Haddad, qui allait jusqu?à se faire des reproches à propos de sa méconnaissance de la langue arabe. Et de dire : «L?école coloniale colonise l?âme (...), c?est insidieux, c?est profond (...). Chez nous, c?est vrai qu?à chaque fois qu?on a fait un bachelier, on a fait un Français» ou d?affirmer : «Il y a toujours eu une école entre mon passé et moi.» Il faut savoir que Malek Haddad a connu un double exil ; d?abord un exil physique dès 1954, lorsqu?il est parti vivre en France ; ensuite un exil intérieur, celui du reniement de soi en tant qu?écrivain, c?est-à-dire lorsqu?il a arrêté d?écrire. C?est parce qu?on ? ses «détracteurs» ? lui reprochait le fait de ne pas savoir écrire en langue arabe que Malek Haddad, abattu, désemparé, voire complexé au plus profond de lui-même, a abandonné l?écriture. Ce refus et cette répulsion de la langue française tiennent leur origine dans le fait que le français, pour certains, notamment les conservateurs, est un prolongement de la colonisation. Malek Haddad se sentait exilé lorsqu?il écrivait en français, se considérait comme un étranger à la langue française, éloigné de ses origines ; et c?est pour cette raison qu?il a cessé d?écrire. Il disait : «Je suis moins séparé de ma patrie par la Méditerranée que par la langue française.» Il nourrissait une certaine gêne, un malaise en raison de ce handicap linguistique. Ce complexe, il l?a porté en lui comme un lourd fardeau, durant toute son existence, jusqu?à sa mort. A ce sujet, Yasmina Khadra a écrit : «Certains s?étaient réjouis de son silence. D?autres s?en félicitent encore. Le poète est mort de ne pouvoir écrire. La langue de l?autre fut son martyre. Il la portait comme l?avorton d?un viol. Comme le drame guettant l?instant où il allait ranger sa plume...»