Le serpent, rapide comme l?éclair, sauta autour du cou du traître et lui dit avec courroux : «Avoue, tu es le complice de mes assaillants ! Tu voulais me faire sortir de ma cache et leur faciliter la tâche !». «Serpent, je ne veux pas que tu te fâches ! Pour te prouver ma bonne foi, je te propose un second marché : si tu acceptes d?en sortir après, je pourrai, tout de suite, dans mon ventre te cacher.» Le serpent ne se fit pas répéter la chose deux fois et, prestement, se glissa dans la bouche d?Ali. Arrivés au puits, les habitants cherchèrent partout le monstre qui les avait assoiffés : mais ils ne le trouvèrent point. Alors, déçus et s?en remettant aux mains de Dieu, ils s?en retournèrent chez eux. Quand tous les gens de la tribu furent partis, Ali s?écria : «Serpent ! Tu peux sortir, il n?y a plus de danger.» Le reptile commença par faire la sourde oreille puis grommela : «Ces gens peuvent revenir à toute heure ! Et puis ici, je suis mieux que dans ce puits? d?ailleurs, je m?y sens autant en sécurité que si j?étais encore dans le ventre d?Ouma (1) !» Le commerçant eut beau le supplier, le djinn serpent resta lové au fond de son estomac. Au bout d?un certain temps, il se mit à pondre des ?ufs et à chaque fois qu?Ali ouvrait la bouche, il en sortait des serpenteaux. Pour cacher son malheur, un matin, le félon quitta l?oasis et marcha longtemps dans le Sahara aride et brûlant. Le muezzin appelait à la prière du dohr (2) lorsqu?il franchit les portes d?une ville du nord où il rencontra une cigogne et un hérisson que la faim tenaillait. Comme c?étaient les premiers êtres vivants qu?il rencontrait, il leur demanda : «Gnifid, Ghnifid, je voudrais?» Le félon n?eut pas le temps de terminer sa phrase que déjà de sa bouche tomba une pluie de minuscules serpents. Ces petits reptiles firent la joie de la cigogne et du hérisson qui, sans vergogne, s?en régalèrent. Une fois rassasié, le hérisson dit à Ali : «Tu m?as sauvé la vie, j?allais mourir d?inanition. Dis-moi, comment pourrais-je te remercier ?» Ali était tellement malheureux qu?il pleura plus qu?il ne répondit : «Un serpent perfide se cache dans mon estomac ! Peux-tu, Gnifid, m?aider à l?en faire sortir ?» Connaissant les hommes, la cigogne était restée en retrait, cherchant encore à saisir les derniers petits serpents qui venaient de tomber. «Regarde, là-bas, indiqua le hérisson, il y a un marais salant. Tu vas l?écumer toute la soirée et avaler son sel à pleines poignées. Puis, on t'accompagnera près de l?oued sur lequel tu te pencheras, en te gardant bien d?y boire. Assoiffé, le reptile sentira l?eau, sortira de ton ventre et tombera dans les flots !». Ali s?empressa de suivre les conseils de maître Gnifid et, toute la soirée, avala du sel autant qu?il put. Puis, le soir, ses nouveaux amis le guidèrent jusqu?à la rivière torrent. L?homme ouvrit toute grande la bouche : la bête ne tarda pas à montrer sa tête : Ali la dégurgita et aussitôt dans l?eau elle se noya. Délivré, Ali rendit grâce à Dieu; mais comme maintenant son estomac était vide, le perfide ressentit une petite faim et, en son for intérieur, se dit : «Mm, ce gnifid et pourquoi pas cette cigogne sont fort appétissants !». Alléché, Ali posa sur ses sauveurs un regard si dur que la cigogne en frémit et prit son envol en criant à son compagnon : «Sauve-toi, vite ! Gnifid. Encore une fois, tu es déçu, et encore une fois, tu as eu tort : mais, dorénavant n?oublie jamais plus.» 1-Ouma : appellation de maman dans le Sud. 2-Dohr : prière de l?après-midi