Il était une fois, du temps où les animaux parlaient encore, un renard, surnommé Cheikh Eddib, qui abritait dans son terrier un jeune hérisson appelé G?nifid. Un soir d?été, les deux voisins s?assirent au clair de lune sur la margelle d?un puits et, dans la fraîcheur de la nuit, se firent maintes et maintes confidences : « Je connais quatre-vingt-dix-huit ruses ! Il m?en manquerait deux et je serais récompensé par notre roi qui me donnerait, et c?est de coutume, cent pièces d?or ! » rêvait à haute voix Cheikh Eddib. « Tu pourrais peut-être m?aider ? » reprit-il. « Peut-être », répondit le hérisson, pas très convaincu. « Combien de ruses connais-tu ? » demanda le renard intéressé. « Je n?en connais qu?une seule ! » avoua G?nifid. Cheikh Eddib s?emporta : « Quoi ! Tu n?en connais qu?une ? Il ne sera pas dit, dans aucune fable, que je partagerai mon refuge avec un incapable ! » Et d?un revers de patte envoya au fond du puits le brave hérisson. G?nifid, d?abord surpris, décida de mettre à profit son unique astuce pour se venger du méchant renard. Il se mit alors à siffler et à bêler. Le puits faisant écho, on aurait dit un troupeau mené par un berger. Le renard intrigué, pointa le bout du nez et entendit une drôle de discussion : « Combien coûte ce mouton bien gras ?» demanda G?nifid, en grossissant sa voix. « Il est trop beau, pour être vendu, je vais l?offrir au roi ! » répliqua le hérisson en changeant de ton. « Alors que me coûteront ces gentils agneaux ou plutôt cette tendre brebis ? » reprit toujours la grosse voix. G?nifid se mit à siffler et à bêler de plus belle comme s?il rassemblait un troupeau ; encore une fois on entendit crier : « Berger, berger, viens donc par là ! Que demandes-tu pour ces belles chèvres ? » Le renard, iintéressé au plus haut point, n?avait pas assez de ses deux yeux pour percer l?obscurité qui régnait dans le puits ; à la fin, n?y tenant plus, il cria : « Hérisson ! m?entends-tu ? Que se passe-t-il donc dans ce puits ? Je n?y vois goutte, il fait si noir ! » « Ce qui s?y passe ? répliqua le hérisson, compère Renard, il y a ici le plus grand souk d?Algérie ! Que de moutons bien gras, que de tendres brebis, ô mon ami ! Je n?en ai jamais vu autant de ma vie ! » Le renard, déjà fiévreux, gémit plus qu?il ne demanda d?une toute petite voix : « Comment faire pour descendre avec toi ? » « Saute, dans le seau qui est posé sur la margelle !» Ce que le renard avait oublié dans sa fièvre, c?est que les deux seaux étaient attachés à chaque extrémité d?une même corde ; et lorsque l?un était plongé au fond du puits, l?autre était au bord de la margelle. Quand G?nifid sentit la corde se tendre, il comprit que le renard avait sauté dans le premier seau ; alors, prestement, il se glissa dans le second. Comme Cheikh Eddib était bien plus lourd que le hérisson, il descendit au fond du puits rapidement faisant remonter l?autre seau avec G?nifid à l?intérieur. Ils se croisèrent, à un moment, dans le puits. Le renard surpris demanda : « Mais, pourquoi diable, remontes-tu ? » « C?est parce que tu descends que je remonte, répondit le hérisson. Ô, père des quatre-vingt-dix- huit ruses, sache, qu?en toute chose, il suffit d?en avoir une, d?ailleurs, mais il faut qu?elle soit la meilleure ! » (à suivre...)