Avis Lilia Chevtsova, politologue russe, analyse les conséquences de la prise d'otages pour le chef de l'Etat russe. Où en est le pouvoir de Vladimir Poutine après la prise d'otages de Beslan ? La crise laisse le président en position de faiblesse. Sa cote de popularité va très certainement baisser, sans doute de plus de 5%. Ensuite, comme cet homme politique intelligent s'en rend compte lui-même, il est enfermé dans un piège en Tchétchénie et dans le Caucase du Nord. Il n'a plus aucune solution en vue et sa marge de man?uvre se rétrécit. L'option militaire ne donne aucun résultat positif, il ne trouve personne avec qui négocier et il exclut toute solution politique. C'est un cercle vicieux. Objectivement, ses positions sont affaiblies. Peut-être pas dans l'immédiat mais, si la situation actuelle perdure en Russie, le temps joue contre lui. Dans la presse et à la Douma, les critiques se multiplient. Est-il menacé ? Les langues commencent à se délier. Dans la rue, dans le métro, dans les magasins, on commence à se plaindre à haute voix de l'insécurité dans le pays. Et les gens rendent Poutine responsable. L'éviction du rédacteur en chef du quotidien Izvestia est d'ailleurs le signe qu'il ne veut tolérer aucune de ces critiques. Pour la majorité des Russes, Vladimir Poutine incarne la stabilisation : c'est pour ramener la stabilité dans le pays qu'il a été élu en mars 2000. Après deux semaines de violences ininterrompues, les gens commencent à se dire qu'il a échoué et que c'était une erreur de voter pour lui. Mais on ne peut pas pour autant parler de crise politique profonde. Poutine tient toujours les leviers du pouvoir. Il a encore beaucoup d'influence, et reste le seul dirigeant dans un désert politique. Les Russes ont peur de prendre leurs distances avec lui. Les «ministères de force» (services spéciaux, police, armée) qui ont porté Poutine au pouvoir approuvent-ils toujours sa politique ? Au sein des organes de sécurité, il semble qu'une majorité le soutienne toujours, simplement parce qu'il est un des leurs. Mais il ne dispose pas pour autant d'un soutien inconditionnel et unanime de ses anciens collègues. Certains ne le trouvent pas assez dur et regrettent qu'il ne soit pas un dictateur. Après Beslan, Poutine affronte de très fortes pressions de la part des forces de sécurité, y compris de celles qui lui sont fidèles, pour qu'il fasse tomber des têtes dans les services spéciaux. Or le président déteste se débarrasser des gens, surtout de «ses» gens. Mais il ne pourra pas éviter de sacrifier quelques responsables plus ou moins importants au sein des organes de sécurité. Le problème, c'est que ces évictions donneront peut-être l'impression que tout va aller mieux, alors que la racine du mal est bien plus profonde. Il ne s'agit pas seulement de défaillance des forces de maintien de l'ordre mais de chaos social et économique. A l'heure actuelle, Poutine ne peut pas quitter la Tchétchénie. S'il le faisait, aucune puissance occidentale ne viendrait l'y remplacer.