Bonheur «Moi, c?était mon rêve le plus cher de revenir», a confié Marivonne Laountane-Sartre, native de Maison-Carrée (El-Harrach), en 1946. Elle est venue de Bordeaux. «Je suis partie une année avant l?indépendance. C?était en 1961. J?avais 14 ans quand ma mère s?est remariée avec un métropolitain qui avait pris sa retraite. Nous sommes donc repartis en Gironde à Langon. Je reviens quarante-quatre ans après. Aujourd?hui, je me suis rendue dans mon quartier à Maison-Carrée, plus exactement à Belfort, à la cité El-Carras. Cette journée a été chargée d?émotion puisque nous sommes allés nous recueillir sur les tombes, notamment sur celle de mon père, que j?ai retrouvée assez facilement, dans un bon état avec la photo intacte. Je n?ai pas pu rencontrer les anciennes connaissances, car pour cela il faudrait passer plus de temps. En une journée, il est difficile de les rechercher. Vers 10 h30, nous sommes arrivés sur les lieux, une délégation des autorités locales nous attendait. Nous avons déposé une gerbe de fleurs sur le tombeau des pères blancs. Après le déjeuner à Cinq-Maisons, nous nous sommes rendus à l?école la Verdée. Je ne suis pas allée à cette école, moi, j?ai fréquenté celle de Belfort, faute de temps. En revanche, je me suis rendue dans mon ancienne demeure. Je voulais tellement y aller. Je me suis dit : ?Je me couche par terre jusqu?à ce que je revoie mon ancien chez-moi?. Lorsque j?ai pratiquement désespéré de voir ma maison, quelqu?un (le guide) m?a dit : ?Ne vous inquiétez pas, je vous y emmène?. Nous sommes montés dans l?immeuble situé près de la clinique de Belfort. A l?époque, il n?y avait que des Français qui occupaient l?immeuble. Les seuls contacts avec les jeunes Algériennes étaient à l?école et pendant les fêtes lorsque l?une d?entre elles, venait nous apporter des gâteaux. Je me rappelle qu?on se crépait le chignon lors des disputes quelquefois comme cela se passait avec des Françaises. Pour ce qui est de ces Algériennes, je n?ai jamais eu le sentiment qu?elles étaient différentes de nous mais plutôt c?est elles qui nous voyaient différentes d?elles. Enfin, je suis contente car j?ai pénétré dans mon appartement où j?ai été très bien accueillie. Les locataires ont été surpris, mais ils étaient très contents. On m?a fait visiter l?appartement et je leur expliquais que je me mettais au balcon, d?où je voyais la mer. Je suis même montée à la terrasse que j?avais à moi toute seule parce que j?avais des poules, des souris blanches et des tortues, de tout. C?est mon plus beau souvenir d?enfant. D?autres souvenirs quand on faisait du patin à roulettes. C?était l?époque du houla houp, on avait un cerceau autour de la taille et puis on s?amusait quoi ! Cela se passait dans les années 1960. Je suis contente de mon voyage. Je reviendrai à titre privé. Mon aîné aurait aimé être avec moi. Je vais encore revivre demain à Fort-de-l?eau où j?ai passé six mois autrefois. Heureusement, j?ai encore des photos que je garde jalousement grâce auxquelles j?espère retrouver mes anciennes copines». Emportée par l?émotion, les larmes aux yeux, Marivonne confie : «Mon seul regret est que mon défunt mari n?ait pas pu partager avec moi ce moment. Heureusement que mon amie est là, car il était difficile pour moi de revenir seule.»