Contexte n Le FN, avec un discours europhobe et anti-immigration, grimpe depuis cinq ans en surfant sur le rejet, notamment par les classes défavorisées, des partis classiques impuissants face à la crise économique et au chômage. La mobilisation d'électeurs inquiets a empêché, hier, l'extrême droite de conquérir la moindre région en France, lors d'élections qui sont un signal d'alarme pour la classe politique française à 16 mois du scrutin présidentiel. Selon les résultats définitifs, la droite a cependant remporté, hier, sept régions, dont la capitale tenue depuis 17 ans par la gauche. La majorité présidentielle de François Hollande a limité les dégâts, avec cinq régions sur 13 en métropole. L'île de Corse a été remportée par les nationalistes, une première. Ces résultats, après un succès historique de l'extrême droite au premier tour des élections régionales il y a une semaine, sont un camouflet pour les trois figures emblématiques du parti Front national, et en premier lieu pour sa présidente Marine Le Pen, 47 ans, battue dans le Nord. Sa nièce Marion Maréchal-Le Pen, 26 ans, s'est inclinée dans le Sud, tout comme Florian Philippot, 34 ans, stratège du parti, dans l'Est. Mais le FN, avec un discours europhobe et anti-immigration, grimpe depuis cinq ans en surfant sur le rejet, notamment par les classes défavorisées, des partis classiques impuissants face à la crise économique et au chômage (10,6% avec l'outre-mer). Selon le politologue Jean-Yves Camus, le résultat de ce dernier scrutin avant la présidentielle de 2017 «tend à confirmer qu'il y a une impasse pour le Front national : c'est un excellent parti de premier tour, mais il ne sait pas aller au-delà». Pour 2017, les instituts de sondage donnent Marine Le Pen qualifiée mais battue au deuxième tour, après une première position au premier tour. Les régions françaises, réduites récemment à 13 contre 21 auparavant pour porter leur taille au niveau des Länder allemands, sont les seules collectivités à pouvoir aider directement des entreprises. Elles sont aussi compétentes en éducation et dans les transports. Avec au soir du 6 décembre le plus fort score au niveau national (28%, et jusqu'à 40% dans le Nord et le Sud), le Front national était en tête dans six régions. Il tablait sur le rejet des partis traditionnels et sur les peurs provoquées par les attentats jihadistes du 13 novembre à Paris (130 morts, des centaines de blessés). Mais la participation des Français au second tour a été nettement plus importante qu'au premier (58,53% contre 50,08%), signe d'une plus grande mobilisation saluée par les responsables de droite et de gauche comme un «sursaut républicain». La gauche avait sacrifié ses listes dans le Nord et le Sud en appelant à voter pour la droite. Le FN dirige une dizaine de municipalités en France, mais n'a jamais conquis de région. Fondé en 1972, il est présidé depuis 2011 par Marine Le Pen, qui a entrepris de le dédiaboliser par rapport à la formation co-fondée par son père Jean-Marie, exclu en août du parti après des dérapages verbaux. R.I./Agences Le meilleur score, jamais réalisé l Le FN a des motifs de consolation. Il progresse depuis le premier tour et réalise son meilleur score national jusqu'alors en pourcentage, 28%. Mais le fait marquant, ce sont les 6,8 millions de voix qu'il a engrangées — plus que les 6,4 millions de voix de la dernière présidentielle en 2012, à laquelle la participation était pourtant de 20 points supérieure. Dans son édito à paraître ce lundi, intitulé «Cette victoire est surtout une non-défaite», le quotidien de gauche Libération estime que si «le sursaut a eu lieu», «c'est la peur de l'extrême droite qui a mobilisé la gauche, non l'adhésion», et qu'il reste un an au gouvernement de gauche pour «réhabiliter l'action politique». Le quotidien de droite Le Figaro juge que les résultats imposent aux adversaires du FN «de se montrer à la hauteur de la confiance qui leur a été renouvelée». Valls «Aucun triomphalisme» l «Le danger de l'extrême droite n'est pas écarté, loin de là», a admis le Premier ministre socia-liste, Manuel Valls. Il a salué un «élan très digne» des électeurs face au FN -la participation a bondi de huit points- mais assuré ne ressentir «aucun soulagement, aucun triomphalisme». Lui faisant écho, le chef de l'opposition de droite, l'ex-Président (2007-2012), Nicolas Sarkozy, a jugé que «cette mobilisation (...) ne doit sous aucun prétexte faire oublier les avertissements qui ont été adressés à tous les responsables politiques». Moins d'abstention l La participation des Français au second tour a été nettement plus importante qu'au premier tour, signe d'une plus grande mobilisation. Cette semaine, Manuel Valls avait brandi la menace d'une «guerre civile» si le FN prenait le pouvoir. La forte poussée du FN le 6 décembre a braqué les regards de l'Europe entière sur la France, et l'entre-deux tours avait été dominé par la mobilisation face à l'extrême droite. La gauche a sacrifié ses listes dans le Nord et le Sud en appelant à voter pour la droite. Des personnalités du monde économique et culturel se sont elles aussi engagées contre le FN. Corse : victoire historique des nationalistes l Les nationalistes ont remporté hier une victoire historique en Corse, battant nettement la gauche sortante et la droite, et reléguant l'extrême droite sous le seuil des 10%. La liste «Per a Corsica» (Pour la Corse) a obtenu 35,50% des voix, distançant droite et gauche, tandis que le parti d'extrême droite Front national n'a obtenu que 9,80% des voix. «L'île de beauté», connue pour ses paysages paradisiaques qui attirent des millions de touristes chaque année, défraye régulièrement la chronique pour les actions violentes menées par les nationalistes envers les autorités françaises, avec notamment le plastiquage de bâtiments publics. «C'est la victoire de la Corse et de tous les Corses», a déclaré le chef de file nationaliste Gilles Simeoni, à l'annonce des résultats. Sa victoire a été acclamée par les cris et les chants de milliers de partisans et sympathisants agitant des drapeaux corses blancs à tête de Maure dans les rues d'Ajaccio, de Bastia et des autres villes de l'île. M. Simeoni, qui avait été élu l'an dernier maire de Bastia, a ajouté que cette élection illustre «une volonté profonde d'une véritable alternative, une soif de démocratie, de développement économique, de justice sociale». «Il a fallu une longue marche de 40 ans pour en arriver là», a renchéri le dirigeant indépendantiste Jean-Guy Talamoni, dédiant cette victoire aux «prisonniers et aux recherchés».