InfoSoir : Vous êtes le fils de Frantz Fanon. N?est-ce pas là un nom lourd à porter ? Olivier Fanon : Oui, c?est un héritage très lourd et pesant à assurer. C?est un héritage de tous les instants. Je m?appelle Fanon, le jour comme la nuit. C?est une présence quotidienne pas que pour son fils, mais pour tous les Algériens. Je fais en sorte de ne pas décevoir la mémoire et l?engagement de mon père. J?essaie d?être à la hauteur de toutes les situations et modestement, j?essaie de perpétuer son combat et sa fidélité à la Révolution algérienne. De quelle manière ? Tout d?abord en ne travestissant pas, comme tout Algérien, notre attachement, celui de mon père et de ma mère, à l?Algérie, en essayant aujourd?hui d?être reconnaissant à ce pays qui a fait de nous ce que nous sommes. Je parle de ma génération. Je vis à Paris et je travaille à l?ambassade d?Algérie dans les affaires consulaires. Je suis encore dans la démarche idéologique et professionnelle de mon père. Je suis attaché à l?Algérie : je ne peux pas concevoir un seul instant d?être Algérien sans renvoyer l?ascenseur à l?Algérie, à ce pays qui a adopté mon père, et que lui-même a adopté en rompant totalement avec la puissance coloniale française en démissionnant de son poste à l?hôpital de Blida. Moi, je dis modestement que j?essaie d?être à la hauteur des ambitions de l??uvre de Fanon. Comment gérez-vous la pensée de votre père ? Je ne peux pas gérer la pensée de mon père, parce que je ne suis que l?enfant biologique de Fanon, je ne suis ni chercheur ni psychiatre. J?ai fait des études supérieures en sciences politiques. Je suis fonctionnaire à l?ambassade d?Algérie, mais je ne suis pas un spécialiste de Fanon, tout ce que je peux faire, c?est apporter ma contribution sur Fanon en tant que citoyen algérien, enfant de la Révolution. Le discours que je tiens, je pense que d?autres ? ceux de ma génération ? tiendraient le même. C?est-à-dire qu?on a été pétris dans l?idée révolutionnaire de l?Algérie. Comment expliquer l?attachement de Fanon à l?Algérie ? L?Algérie a été pour lui un catalyseur, un révélateur de ses réflexions. Ça devait sommeiller quelque part en lui, et il a trouvé les moyens d?extérioriser sa pensée. En fait, il a eu l?écho de sa pensée : il a trouvé des gens qui pensent comme lui et qui partagent les mêmes idéaux et les mêmes intentions révolutionnaires. La pensée de Frantz Fanon est-elle d?actualité ? En effet, la pensée de mon père n?est que plus d?actualité à partir du moment où il y a une aliénation, une colonisation des esprits. La France a réussi à nous coloniser, et 50 ans après, il y a des esprits qui sont encore colonisés. C?est une réalité : il y a beaucoup d?Algériens qui ne pensent et n?aspirent qu?à partir. Des individus qui sont des non-êtres. L?on peut appliquer la pensée de Fanon dans la mesure où l?on devrait faire un travail sur une approche différente de la société algérienne, de la place de l?Algérie dans le concert des nations. En quoi la pensée de Fanon peut-elle servir, aujourd?hui, à l?Algérie ? L?Algérie n?est plus en révolution, elle est cependant révolutionnaire. Et la pensée de Fanon peut encore servir à l?Algérie puisque le pays est dans un combat de tous les instants. Il y a un objectif primordial : la reconnaissance humaine, le respect de l?homme. Puisque les écrits de Fanon révèlent une grande humanité. Lorsque l?homme, en tant qu?individu, sera respecté, alors là on pourra discuter, mais dans le cas contraire, tant qu?il y aura une négation des droits de l?Homme, l?on ne pourra pas discuter dans le respect de la différence. Y a-t-il une fondation Frantz-Fanon pour la pérennité de sa mémoire ? Il n?y a pas une fondation, mais l?idée a été lancée par des amis à moi. Je ne suis pas contre, mais je ne veux pas être à l?origine de la création de cette fondation. Le nom de Fanon n?est pas un fonds de commerce, c?était un théoricien, un écrivain, un penseur. Je soutiens vivement l?idée de la fondation, mais je ne veux pas être à l?origine de ce projet. Je ne suis pas en mesure de défendre la pensée psychiatrique de Fanon, je ne peux pas tenir une discussion avec un psychiatre, il faut laisser les choses juste à leur niveau, et puis que chacun se cantonne dans son rôle. Mon rôle à moi est que je suis le fils de Fanon et je ne veux aller au delà.