Résumé de la 1re partie Il était une fois dans le département de l'Ariège, il y a 72 ans, une femme entièrement nue sur un piton rocheux. Des chasseurs l?aperçoivent. Le lendemain, dès l'aurore, le curé s'approche de la porte de la chambre. Tout est silencieux, sans doute la malheureuse dort-elle encore, épuisée par toutes ces émotions. ll ouvre la porte avec précaution, mais la chambre est vide ; la «sauvageonne» s'est échappée par la fenêtre. On retrouve dans un sentier le jupon et la robe prêtés par la femme du sacristain entièrement lacérés. C'est une piste ; les chasseurs repartent en battue, mais malgré leurs ruses, malgré les chiens, ni ce jour-là ni les jours suivants on ne retrouve trace de la fugitive. Mais elle n'a pas disparu définitivement. Quelques semaines plus tard, un berger l'aperçoit sur une crête inaccessible. Des chasseurs isolés la signalent également à plusieurs reprises, ici ou là, mais toujours fugitivement. Dès qu'elle voit âme qui vive, elle disparaît aussitôt en quelques bonds rapides. Panthère ou gazelle, on ne sait... Et l'hiver arrive. La neige recouvre le village et la montagne. Le froid rassemble les familles autour du feu. On ne parle de la «sauvageonne» que pour la plaindre ou prier pour son âme. Car elle est morte, à coup sûr. Si le froid et le gel ne l'ont pas tuée, elle est morte de faim. Comment trouver de la nourriture sous plus d'un mètre de neige ? Et, si elle n'est pas morte de faim, elle a été dévorée par les ours, nombreux dans la région. Au printemps, à la fonte des neiges, un gardien de chèvres arrive en courant au village et pointe un doigt excité vers les cimes : «Regardez, là-haut, la sauvageonne !» Sur un escarpement rocheux, on aperçoit, en effet, une silhouette bondir de rocher en rocher, et les jumelles du curé confirment la chose. ll s'agit bien de la femme échappée l?été dernier, plus agile que jamais, et toujours nue, ce qui navre particulièrement M. le curé. Devant cette incroyable réapparition, les habitants de Suc sont frappés de stupeur. Comment un être humain a-t-il pu survivre seul dans la montagne en hiver, et entièrement nu de surcroît ? C'est impossible à croire, et il ne s'agit plus pour eux d'une femme, mais d'une bête. Le bruit de cette réapparition qui tient du prodige fait le tour du canton et un certain Vergnier, juge de paix à Vic-Dessos, décide qu'il faut agir. ll mobilise une armée de traqueurs, dresse un plan de battue et, après une mémorable «chasse à l'homme», la «sauvageonne» est à nouveau capturée et transportée à Vic-Dessos, où Vergnier l'enferme à double tour dans une pièce dont les fenêtres sont garnies de barreaux. ll entreprend immédiatement de la faire parler. Usant de beaucoup de patience, il vient plusieurs fois par jour «bavarder» avec la prisonnière, qui s'habitue peu à peu à sa présence. ll lui donne de la viande et du poisson cru qu'elle dévore goulûment. Un jour qu'il parle de la méchanceté des ours de la montagne, la femme se dresse soudain et parle clairement pour la première fois. Sa voix est rauque : «C'est faux», dit-elle. Elle n'est donc pas muette. Enchanté de ce résultat, le juge de paix poursuit son interrogatoire au sujet des ours, qui semble l'intéresser au plus haut point. En effet, de la même voix rauque, la femme continue de parler, avec effort, mais toujours clairement : «Les ours sont mes amis. Ils me réchauffaient et partageaient leur nourriture avec moi.» Vergnier apprend ainsi, bribe par bribe, l'histoire incroyable de cette malheureuse qui, manifestement, n'a plus toute sa raison. Chassée de France par la Révolution, elle se réfugie en Espagne avec son mari. Quelques années plus tard, ils décident de rentrer discrètement. Pour ce faire, ils passent les Pyrénées où ils sont attaqués par des contrebandiers. Au cours du combat son mari est tué, tandis qu'elle réussit à s'enfuir dans la montagne. A partir de là, les choses s'embrouillent un peu. Elle se perd, ou elle n'ose plus se montrer, on ne sait pas. Toujours est-il qu'elle commence une vie de sauvage qui va se poursuivre ainsi pendant deux ans. (à suivre...)