Enjeu La Russie était directement impliquée dans la campagne électorale de Ianoukovitch, car, aux dires d?un député de la Douma, elle a beaucoup à perdre dans le cas de la victoire de Iouchtchenko. Si l?on croit certains commentateurs, la Russie, avec la défaite de son candidat, perdrait la possibilité de reconstruire son empire. L?Ukraine n?est pas considérée comme un simple voisin, mais comme un «petit frère» dont la capitale Kiev a été une des villes les plus importantes de l?Empire russe pendant plus de 300 ans. Lorsque l?Ukraine déclara son indépendance, on l?appela l?«Etat saisonnier», autrement dit temporaire, qui reviendra au sein de la Grande Russie des nostalgiques. De son côté, l?Europe n?intervenait pas dans les élections ukrainiennes, convaincue que tout intérêt manifesté au-delà de ses frontières orientales risquerait de provoquer un conflit avec la Russie. Or, autant l?Allemagne que la France ont de très sérieux projets concernant le pétrole et le gaz russes. Cependant, alors que la Russie félicitait Ianoukovitch, avant même la proclamation officielle de sa victoire, les nouveaux membres du Parlement européen, issus des pays du postcommunisme, ont véritablement imposé aux eurodéputés un débat sur la crise ukrainienne ? un premier test pour la politique étrangère des 25. Crucial, l'enjeu l'est indéniablement pour la Russie. Il s'agit de savoir si elle va, devant le poids de la réalité, accepter l'inéluctable : que l'empire n'est plus. Ce choix décisif qu'elle n'a pas encore su faire vis-à-vis de la Géorgie est un choix existentiel dont découlera sa politique régionale. L'Ukraine émancipée, il n'y aura plus d'autre choix pour Moscou que de s'accepter telle qu'elle devrait être : une puissance au passé impérial révolu. Ce faisant, elle exercerait son influence dans les cadres internationalement acceptés. L'Europe trouverait ainsi finalement le partenaire qu'elle attend. Ainsi, l'enjeu est non moins important pour l'Europe. Pour sa politique étrangère, qui sera très différente selon que l'Ukraine sera démocratique ou autoritaire, avec les risques d'un continent européen de nouveau coupé en deux. Pour son image internationale surtout, qui sera «réaliste» si elle choisit de ne pas trop se risquer vis-à-vis d'une Russie blessée ou «moraliste» si elle se résout à jeter son poids politique et économique pour la démocratie à Kiev. Enfin, l'enjeu est euro-américain. Si l'Europe laisse une nouvelle fois à Washington le monopole de la défense, ne serait-ce que verbal, de la démocratie en marche, le fossé entre l'enthousiasme atlantiste des nouveaux entrants et le scepticisme des membres fondateurs de l'Union européenne risque inutilement de se creuser.