La Russie est confrontée à la tâche délicate de reconstruire ses relations avec Kiev, après avoir maladroitement cherché à imposer un autre candidat à la présidence ukrainienne. Comme il l'avait promis pendant sa campagne, M. Iouchtchenko a réservé sa première visite à l'étranger à la Russie. Un geste formel, mais qui montre l'importance que ce réformateur pro-occidental attache à ses relations avec Moscou, dont la composante économique — et notamment énergétique — fait qu'il serait absurde pour Kiev de se fâcher durablement avec la Russie. Il s'agit donc pour les deux parties d'oublier, aussi vite que possible, l'erreur du président Vladimir Poutine qui s'était engagé à fond en faveur du candidat pro-russe, Viktor Ianoukovitch, et l'avait même félicité précipitamment pour une victoire déclarée ensuite nulle pour cause de fraude massive. La “Révolution orange”, soutenue par l'Occident, qui a assuré la victoire à M. Iouchtchenko, a encore aggravé les choses. Mais le Kremlin a maintenant amorcé un retour au pragmatisme. Aussi, le président Poutine a-t-il adressé jeudi à M. Iouchtchenko un message de félicitations où il a déclaré que des relations de bon voisinage avec Kiev étaient “l'une des priorités nationales” de la Russie. En même temps, il a appelé l'Ukraine à poursuivre l'intégration avec la Russie, le Bélarus et le Kazakhstan pour bâtir leur “espace économique commun”. Une question cruciale pour Kiev, car si M. Iouchtchenko a jugé ce projet compatible avec l'intégration européenne de son pays, les responsables de Bruxelles sont d'un avis opposé. En fait, pensent des analystes, le Kremlin n'a pas encore de stratégie bien arrêtée face au rapprochement prévisible de l'Ukraine avec l'Union européenne et l'Otan. “Selon mes informations, le premier plan russe, à savoir "trouver leurs points faibles et voir quels robinets on peut fermer" a d'ores et déjà été rejeté”, dit-il. En Russie, les “politechnologues” du Kremlin — qui avaient tenté en vain de gagner des électeurs à M. Ianoukovitch — ne misent pas sur des contacts personnels entre les deux présidents, mais plutôt sur ceux avec certains de ses alliés et collaborateurs. “Moscou cherchera en Ukraine des alliés au sein de l'administration Iouchtchenko, car ce groupe connaît des divisions”, a indiqué l'un des stratèges du Kremlin, Sergueï Markov. Quoi qu'il en soit, Moscou n'est pas dépourvue d'atouts : si l'acier ukrainien est vendu surtout en Occident, l'industrie des machines ou l'aéronautique ont des partenaires russes puissants, des capitaux russes sont présents dans l'énergie électrique et l'aluminium, et le gaz russe est essentiel pour l'économie ukrainienne. S'y ajoute la parenté culturelle d'un pays où plus de la moitié de la population préfère la langue russe à l'ukrainien. La vraie épreuve de force risque de porter sur les relations avec l'Occident, car si l'Ukraine se prépare à rejoindre à terme l'Otan, elle devra renoncer progressivement aux armements de fabrication russe, faisant perdre à Moscou un marché conséquent.