Comme beaucoup d'autres enfants de son âge, Simon a été envoyé à la campagne pour être à l'abri des bombes et pour manger à sa faim. L'ennemi ne pilonne pas les champs de pommes de terre, et un paysan malin se débrouille toujours avec les réquisitions. Donc Simon est à l'abri, à la campagne, et cette campagne est une vraie campagne : un bout de rivière, des prés, une forêt proche et un hameau de onze maisons plus une église. Simon débarque dans cet environnement à la fin de l'été 40. Il a douze ans, il vient de Paris et se retient bien fort pour ne pas pleurer. La ferme où il habite désormais appartient à des cousins de sa mère qui n'ont pas d'enfant et guère de délicatesse. Des braves gens qui considèrent qu'une fois nourri et logé, un individu n'a pas à se plaindre. Simon ne se plaint donc pas. Et les mois passent. Une visite de maman de temps en temps, et puis la nouvelle brutale. Plus de maman. Elle est morte d?une maladie bête. De son lointain camp de prisonniers, papa écrit à son fils des lettres courageuses. Il ne reste plus à Simon que ce lien lointain et fragile, une lettre d'un prisonnier de temps en temps. 1943. Il a treize ans. 1944, il a quatorze ans, et depuis plusieurs mois, aucune nouvelle du père. On a beau rassurer le petit Simon, lui expliquer qu?il a peut-être changé de camp, Simon se met dans la tête que son père est mort, quelque part en Allemagne. Et quand la nouvelle arrive, il s'y attendait. Alors, il décide de faire quelque chose, au lieu de pleurer. Il en a assez de pleurer. Il en a par-dessus la tête. Simon, un beau matin, bourre son cartable de provisions : du fromage, des ?ufs durs, du pain. Il enfile deux pantalons, deux chemises, deux pull-overs et deux paires de chaussettes, hésite à laisser un mot dans sa chambre, écrit une première fois : «Je pars au maquis, ne cherchez pas à me retrouver.» Puis il met le papier dans sa poche. Mieux vaut ne pas laisser de trace, pense-t-il. Et le voilà parti, à l'aube, sur la pointe des pieds. En passant devant le poulailler, il lui vient à l'idée que par les temps qui courent, une volaille quelconque serait la bienvenue chez les maquisards, qu'il espère rejoindre il ne sait où. Mais attraper une poule est un risque, car il n'y a pas plus bruyant qu'une poule qui ne veut pas se laisser attraper. Alors, Simon se rabat sur un lapin, qu'il enfourne vivant sous ses deux pull-overs. Voilà donc Simon sur le chemin de la forêt, traînant son cartable d'une main et coinçant de l'autre le lapin dans son giron. Il fait froid dans les contreforts du Morvan, en février. Et au bout de deux kilomètres environ, sur la piste forestière, Simon est pris de doute. Il ne s'attendait pas, bien entendu, à trouver des pancartes de signalisation indiquant : prochain maquis 500 mètres, mais un gros reste d'enfance lui faisait croire qu'il suffirait d'aller un peu plus loin dans la forêt pour rencontrer des gens vivant comme Ivanhoé ou Robin des Bois. Puisque c'est ainsi qu'il imagine ce fameux maquis, dont les paysans parlent à voix basse. Il marche ainsi plus de cinq heures. Et au bout de cinq heures, il serait incapable de retrouver son chemin en arrière. Cette forêt s'étend sur près de 40 kilomètres. Il a quitté depuis longtemps les allées forestières pour les petits chemins de broussailles. Il s'est reposé dans une chapelle en ruine, il est arrivé jusqu'à la lisière du bois et a vu de loin un village inconnu, alors il est reparti, s'est enfoncé à nouveau sous les arbres. Il ne sait pas qu'il est 10 heures du matin seulement. Il a l'estomac creux et s'arrête pour manger, lorsqu'un bruit le fait sursauter. Quelque chose marche et c'est un drôle de bruit. Avant d'avoir situé ce bruit, humain ou animal, Simon se trouve nez à nez avec un homme lourdement chargé d'un havresac et qui a l'air aussi surpris que lui de le rencontrer. L'homme et l'enfant se regardent. L'homme dit : «Qu'est-ce que tu fais là ?» Et l'enfant répond : «Je vais dans le maquis.» Comme ça, tout à trac. Sans méfiance ni préambule. Il est apparu à Simon que ce bonhomme, coiffé d'un béret, à l'air d'un braconnier, ne pouvait que l'aider. (à suivre...)