En 1987, Bertrand C., la quarantaine à peine, inspecteur des impôts, marié, bon père de famille, a tout pour être heureux. Son plan de carrière doit lui assurer des moyens d'existence décents, un avancement régulier, une retraite correcte. On ne peut pas dire que son travail quotidien soit excessivement passionnant. Il souffre même, semble-t-il, d'une lassitude due à la monotonie de ses tâches, ou bien à un dégoût des chiffres. Il rêve d'autre chose. De quoi ? il n'en sait rien encore. Parfois, pour tromper son ennui, il utilise le Minitel de son bureau. Normalement, cet appareil n'est là que pour obtenir des adresses, certains renseignements techniques. Bertrand a entendu parler de services plus spéciaux, de convivialité, de contacts personnels, de codes émoustillants. Il cherche le code, il trouve, il le frappe sur le clavier et, tout réjoui, il voit s'ouvrir les portes d'une moderne caverne d'Ali Baba, pleine, non pas de pièces d'or et de diamants, mais de créatures fantomatiques qui promettent monts et merveilles... Il suffit pour les contacter de se choisir un pseudonyme alléchant, d'y ajouter un petit message personnel propre à exciter l'intérêt du correspondant. Et voilà : c'est parti ! Bertrand, sans le savoir, vient de se lancer sur la pente délicieuse qui va le conduire tout droit en prison. Parmi les correspondants qui s'affichent sous différents pseudonymes et prétendent être à la recherche de toutes les variétés de passions, d'amours ou de plaisirs plus ou moins interdits, après quelques essais décevants, Bertrand, un beau soir, déniche un pseudonyme qui excite sa libido. Il s'agit d'un jeune homme, vingt ans à peine, qui recherche une liaison avec un «monsieur bien sous tous rapports, généreux», et qui promet en échange des nuits inoubliables. Bertrand, amusé, prend contact. Anonymement. L'autre répond, tout aussi anonymement ; l'échange devient divertissant, excitant, érotique. On décide de se téléphoner. On se téléphone. Attention, Bertrand, inspecteur des impôts, tu prends des risques !... Quelques jours plus tard, Bertrand et Dominique, le charmant jeune homme, font connaissance à la terrasse d'un café. Ils décident de se voir dans un lieu clos, propice à un contact plus intime. Chose promise, chose due. Bertrand sort de cette rencontre troublé, se posant des questions sur sa propre sexualité. À présent qu'il a goûté à ces amours interdites, il lui semble impossible de faire marche arrière. Il veut savourer davantage toute cette partie de sa propre personnalité qu'il ne soupçonnait pas. Le charmant jeune homme se montre très coopératif. Il ne semble pas qu'il en soit, contrairement à Bertrand, à son coup d'essai. Mais il fait comprendre à Bertrand, qu'un «vieux» de quarante-quatre ans ne doit pas compter profiter d'un «jeune» de vingt ans gratuitement. Il va falloir conclure une sorte d'arrangement financier où chacun retrouvera son compte. Bertrand ne s?attendait pas à celle-là. Il hésite. Dominique, qui possède une technique parfaite, expose des arguments plus percutants : si Bertrand ne veut pas subvenir à ses moyens d'existence, Dominique, qui connaît tout de lui, pourrait bien se faire connaître à madame Bertrand C. Il pourrait bien lui faire savoir ce qu'ils font tous les deux pendant leurs rencontres, et il pourrait aussi en informer les supérieurs hiérarchiques de Bertrand... Celui-ci sent une sueur froide l'envahir. Comment faire ? Où trouver l'argent ? Le lendemain, au bureau, en dépouillant le courrier, Bertrand, qui cherche des millions, manipule les chèques que des contribuables ont postés la veille pour régler leur TVA. Il lit distraitement les sommes inscrites... Mais la voilà, la solution ! Il suffit de détourner les chèques à son profit, de falsifier les écritures, pour disposer des millions nécessaires. L'ordinateur des impôts rectifie la situation et, apparemment, tout est dans l'ordre. Pour l'instant, Dominique aura ce qu'il demande et les rencontres continueront, pour la plus grande satisfaction de tout le monde. (à suivre...)