Conséquences Faute de moyens, les malades mentaux sont hospitalisés dans des conditions parfois dramatiques. Certains d?entre eux usent d?un vocabulaire châtié et les autres ont des «rasades» de salive dont ils gratifient la gent féminine sitôt qu?ils y sont confrontés. L?inquiétude relevée des habitants de la ville de Blida semble, cependant, motivée par ce qui est arrivé récemment. Ils se manifestent par des gestes et des attitudes irresponsables, tels des jets de pierre sur les véhicules, le port d?objet pouvant conduire à des actes graves et irréparables. Devant l?ampleur de ce phénomène, les citoyens se demandent à quand la prise en charge de ces malades mentaux ? C?est la question qui nous a poussés à faire une virée dans les pavillons de l?hôpital psychiatrique de Blida, où nous avons pu rencontrer un groupe de malades au pavillon El-Razi et Ibn Sina. Le pavillon ressemble à une petite villa coloniale entourée d?arbres et de verdure, mais à l?intérieur c?est un autre décor : toutes les fenêtres sont doublement barreaudées et dans la petite salle d?attente de fortune est placée une table en bois entourée de 4 chaises en métal. Ce service accueille des malades en «cure libre», selon le Dr Boulassel N. «La plupart des malades admis dans ce service, reçoivent des cures de psychothérapie afin de leur assurer une réinsertion sociale. Ces malades atterrissent chez nous par une décision judiciaire ou ramenés par la Protection civile à la suite d?un rejet social et familial. Des malades résistent et ne répondent pas à la dose requise alors que certains médicaments ne sont pas disponibles chez nous, ce qui nous oblige à travailler avec les moyens du bord». Deuxième visite, le pavillon Ibn-Khatib, qui accueille des malades placés par voie judiciaire uniquement. C?est une vraie prison au milieu d?un hôpital civil. «Ils ont entre 24 et 65 ans. Ils ont eu le malheur de naître dans un environnement hostile qui ne leur a réservé que peines et malheurs». Quand nous sommes arrivés, ils étaient en train de dormir. Dès qu?ils nous virent, ils se mirent à chuchoter se demandant ce que nous pouvons bien représenter. Notre accompagnateur délégué par le professeur Bachir Ridouh, nous conseille de rencontrer les malades un par un. Le premier entretien que nous avons eu, ce fut avec Aâmi Akli âgé de 68 ans, ancien pilote de ligne. Il est là depuis trois mois et affirme se sentir mieux qu?à la maison d?arrêt d?où il a été transféré et ce, au bénéfice de l?article 47 du Code pénal. Il nous raconte qu?il est là à cause de sa femme et de sa mère. «Ma femme m?a demandé de placer ma mère dans un hospice de vieillards, j?ai refusé et m?en suis pris à elle avec violence, je lui ai déchiré sa carte d?identité nationale». Mais rapidement, il change de sujet et parle de sa vie actuelle et de ses activités dans ce centre qu?il considère comme sa véritable maison. Nous comprenons que les douloureux souvenirs l?empêchent de poursuivre l?entretien, nous le libérons et poursuivons avec Mohamed C, âgé de 24 ans. Lui vient de la prison de Chlef et est condamné pour avoir assassiné son père. «Écoutez-moi, je ne vous parle pas de mon histoire, je préfère vous parler des conditions de vie ici et de notre traitement. Regardez les habits que nous portons, ce sont des tenues de détenus, ils sont très sales, nous n?avons le droit qu?à une seule tenue. Faites un tour dans la salle et vous constaterez de vous-même comment on est traité. On vit dans des conditions moyenâgeuses, entassés dans une salle comme des sardines, pas d?hygiène, pas de distractions, la bouffe est très mauvaise. Vous êtes des journalistes dites-leur, ici c?est la loi de la jungle, moi je préfère être exécuté plutôt que de souffrir comme ça». Du court entretien que le professeur Bachir Ridouh nous a accordé, il ressort que la prise en charge de symptômes-conséquences est mille fois plus coûteuse pour une société et pour son avenir que celle immédiate et directe des phénomènes eux-mêmes. Selon notre interlocuteur, «l?hôpital Frantz-Fanon de Blida a assuré plus de 3 700 consultations pour les activités externes et plus de 2 300 consultations en urgence, durant les trois derniers mois de l?année 2003, 9 sur 10 sont des hommes et 1 sur 10 des femmes. Nous avons mis en place tout un programme pour améliorer les conditions d?accueil des malades et leurs parents. Nous savons que la situation des malades montre que leurs parents sont irresponsables et n?acceptent pas de reprendre leurs proches, il y a donc démission totale des parents. Dans la crainte de voir le malade rechuter, nous préférons le garder, et notamment quand il a une famille démunie». Le professeur nous parle des projets de l?hôpital tels que «l?intensification de la prise en charge, en multipliant les entretiens, l?enrichissement des activités». Il poursuit : «Nous avons aussi redémarré des activités telles que l?ergothérapie et le jardinage».