Avec sa conception «maison» de la social-démocratie, Tony Blair a réussi le coup du chapeau, le «hat-trick» comme disent les sportifs de son pays. Pas mal pour quelqu'un qu'on disait usé, avec déjà huit ans de pouvoir au compteur et une large partie de son électorat vent debout contre son engagement guerrier en Irak. Mais cela ne l'a pas empêché de l'emporter, pas plus d'ailleurs que deux de ses alliés de la coalition, George W. Bush ou l'Australien John Howard, eux aussi réélus malgré la guerre. Tony Blair, que ses camarades socialistes allemands ou français soutiennent du bout des lèvres, réussit pourtant son exploit grâce à une bonne discipline à gauche : si les libéraux-démocrates progressent parce qu'ils ont été les seuls à prendre position contre l'intervention irakienne, le gros des électeurs travaillistes n'a pas voulu prendre le risque de manifester sa grogne en faisant gagner les conservateurs. D'autant que le Premier Ministre sortant bénéficie des succès de sa politique économique, dont les couches populaires et moyennes ont vraiment profité, principalement en matière d'emploi. Mais Tony Blair a le triomphe modeste. Sa victoire est étriquée. Il a senti le vent du boulet, a compris que l'Irak avait profondément divisé le pays et que son nouveau mandat allait être plus difficile que les précédents : on l'a accusé de mensonge et la violence des attaques contre lui l'a ébranlé et affaibli jusque dans son propre camp. Ce n'est pas le cas de son principal soutien, Gordon Brown. Epargné par les polémiques irakiennes, réputé pour son intégrité morale, le ministre des Finances apparaît non seulement comme le successeur désigné de Tony Blair, mais comme son sauveur.