L?ingrat, le nekkar el-khayr, n?est pas toujours l?étranger que l?on secourt. On peut toujours se dire que l?on n?a pas de liens affectifs avec lui et qu?on est bien naïf de s?attendre à de la reconnaissance de sa part. Les ingrats se recrutent bien souvent dans le cercle des proches, voire des proches parents, c?est-à-dire de personnes avec lesquelles on vit ou auxquelles on est rattachés par des liens de sang ou d?alliance. On connaît le conte kabyle, le foie du capuchon, si joliment raconté par Taos Amrouche et que nous résumons. Une femme, ayant élevé avec peine son fils unique, le marie. Et voilà que sa femme, qui a pris la mère en grippe, demande à son mari de la tuer. «Je veux que tu l?égorges, que tu lui enlèves son foie et que tu me le ramènes !» L?homme résiste, mais, dominé par sa femme, finit par accepter. Sous prétexte de fagoter, il emmène sa mère dans la montagne et l?égorge. Il lui ouvre le ventre, arrache son foie, le met dans son capuchon et rentre chez lui. Voilà que sur la route, il est surpris par l?orage. C?est alors que, miracle, le foie se met à parler : «ô pluie, arrête-toi ! Que mon fils ne soit pas mouillé !» Le foie ? tasa en berbère, lkebda en arabe, rappelons-le ? symbolise dans la tradition algérienne, l?amour, plus spécialement l?amour maternel. Si l?ingratitude et les ingrats sont vilipendés, la sagesse populaire ajoute qu?il vaut mieux faire des ingrats que de s?abstenir à faire le bien : «Ddir lkhayr w nsah» (fais le bien et oublie-le), autrement dit, ne t?attends pas à la reconnaissance.