Tout commence en 1983, à l'usine de N. Sylvana E., une Portugaise de trente ans, est engagée comme ouvrière. C'est une beauté : très brune, avec un corps sculptural. Elle attire bien des regards dans son atelier. Elle attire en particulier ceux de François B., son chef d'atelier, qui tombe immédiatement amoureux fou d'elle. Il en perd toute prudence et, au vu de tous, il quitte fréquemment son poste pour bavarder avec elle. Il est lui-même fort séduisant. Il a un peu plus de la trentaine. Il est grand, brun, élancé, avec une fine moustache qui lui donne des allures de gentleman anglais. Après plusieurs semaines d'une cour assidue mais respectueuse, il se décide à franchir le pas. Il l'aborde à la sortie de l'usine et lui propose de la raccompagner chez elle. Et, miracle, Sylvana ne dit pas non ! Elle objecte cependant : «C'est que j'habite M., ce n'est pas tout près...» Bien entendu, François ne s'arrête pas à ce détail et fait monter Sylvana. C'est ainsi que, ce jour-là et tous ceux qui suivent, au prix d'un détour interminable, il raccompagne Sylvana chez elle... Il sait refréner son impatience. Il n'a pas d'initiative déplacée ; il est attentif, galant et volontiers spirituel. Cette attitude pleine de tact finit par obtenir sa récompense. Un soir, Sylvana se laisse prendre la main, consent à un baiser. Et quelques jours plus tard, elle le laisse engager sa voiture dans un bois et ils deviennent amants. C'est après qu'elle confie le débat intérieur qui l'agite. Ainsi qu'il le sait déjà, elle est mariée avec Joachim, trente-deux ans, Portugais comme elle, et ouvrier dans une usine de M. Tous deux habitent une HLM de la ville. Ils vivent aussi modestement que possible, car leur but est d'économiser assez d'argent pour retourner au pays et acheter la petite maison de leurs rêves. Et la belle Sylvana dit à François, avec un tremblement dans la voix : «Je veux bien qu'on continue à se voir, mais il nous faut être prudents, car je ne veux pas qu'il l'apprenne. J'aime Joachim...» Tout à son triomphe et à son bonheur, François ne fait pas attention à cette déclaration. Et pourtant, il ne se doute pas à quel point Sylvana aime son mari et qu'à cause de cela, leur idylle va se terminer en drame. Dès qu'elle est rentrée chez elle, Sylvana n'a qu'une préoccupation : que Joachim n'ait pas de soupçons. Il est possible qu'on les ait vus dans la voiture. Elle va donc avouer une partie de la vérité : «Un collègue m'a raccompagnée. Il habite près d'ici. Si cela ne te gêne pas, il propose de le faire les autres jours.» Joachim sourit sous sa grosse moustache brune. C'est un homme doux et calme qui a une grande qualité, qui peut être parfois un défaut : il n'est pas jaloux. «Mais bien sûr ! Ce sera beaucoup mieux pour toi. Tu seras moins fatiguée.» Et la situation de couple à trois s'installe. Pour l'instant, elle est conforme à celle des comédies : le mari ne se doute de rien. Sylvana lui présente François et il sympathise avec lui. Le chef d'atelier devient l'ami du couple. Il passe même ses dimanches à la maison. Cette situation dure ainsi deux ans. François a décidé de se montrer patient. Il pense que le temps joue pour lui, que la belle Sylvana va finir par renoncer à Joachim et le choisir, lui. Et puis, brutalement, c'est le coup de tonnerre. Le 5 juin 1985, Joachim rentre tout joyeux à la maison : «Je viens d'apprendre que le gouvernement français offre une aide au retour aux étrangers qui voudraient rentrer définitivement chez eux.» Sylvana et lui font leurs comptes. Avec les économies qu'ils ont déjà réalisées, cela fait tout juste de quoi s'acheter leur petite maison. Ils vont partir dès que possible. Sylvana n'hésite pas. Rien ne la retient ici. Elle a bien sûr un peu de peine pour François, mais ce n'est pas cela qui peut l?arrêter. Le lendemain, elle vient l'aborder à la pause de midi. D'un ton joyeux, elle lui raconte la décision qu'ils viennent de prendre, son mari et elle. Et elle conclut avec un grand sourire : «Tu n?auras qu?à venir passer tes prochaines vacances dans notre village. Tu vas voir comme c?est joli, là-bas !» (à suivre...)