Or l'enfant qui venait de naître fut trouvé si beau et il était tellement comme la lune, que son père, émerveillé, l'appela Kamaralzaman. Et de fait, cet enfant était bien la plus belle des choses créées ; on le constata surtout quand il devint un adolescent et que la beauté eut secoué sur ses quinze ans toutes les fleurs qui charment l'?il des humains. Avec l'âge, en effet, ses perfections étaient arrivées à leur limite ; ses yeux étaient devenus plus magiciens que ceux des anges Harout et Marout, ses regards plus séducteurs que ceux de Taghout et ses joues plus plaisantes que les anémones. Quant à sa taille, elle s'était faite plus souple que la tige du bambou et plus fine qu'un fil de soie. Mais pour ce qui est de sa croupe, elle s'était alourdie si considérablement qu'on l'eût prise pour une montagne de sable mouvant et que les rossignols, en la voyant, se mettaient à chanter. Aussi il ne faut point s'étonner que sa taille si délicate se soit tant de fois plainte du poids énorme qui la suivait, et qu'elle ait si souvent, lasse de sa charge, fait la moue à ces fesses. Avec tout cela, il avait continué à être aussi frais que la corolle des roses et aussi délicieux que la brise du soir. Et justement les poètes de son temps ont-ils essayé de rendre, en cadence, la beauté qui les frappait, et l'ont lui-même chanté en des vers nombreux, parmi lesquels ceux-ci entre mille : «Quand les humains le voient, ils s'écrient : ?Ah ! Ah !? Quand ils le voient, ils peuvent lire ces mots que la beauté a tracés sur son front : ?J'atteste qu'il est le seul beau !? Ses lèvres sont, si elles sourient, des cornalines, sa salive est du miel fondu ; ses dents un collier de perles ; ses cheveux viennent en boucles noires s'arrondir sur ses tempes, tels des scorpions qui mordent le c?ur des amoureux. C'est d'une rognure de ses ongles qu'a été fait le croissant de la lune ! Mais sa croupe fastueuse qui tremble, mais les fossettes de ses fesses, mais la souplesse de sa taille ! Elles sont au-dessus de toutes paroles !» Aussi le roi Schahramân aimait-il beaucoup son fils et tellement qu'il ne pouvait s'en séparer un instant. Et comme il craignait de le voir dissiper dans les excès de ses qualités et de sa beauté, il souhaitait fort le marier de son vivant et se réjouir ainsi de sa postérité. Et un jour que cette idée le préoccupait plus que de coutume, il s'en ouvrit à son grand vizir qui lui répondit : «L'idée est excellente car le mariage adoucit les humeurs.» Alors, le roi Schahramân dit au chef eunuque : «Va vite dire à mon fils Kamaralzâman de venir me parler !» (à suivre...)