Une femme, aux mains enluminées au henné, s'affaire assise devant un petit feu pour la cuisine. Une autre balance lentement d'avant en arrière une outre de peau pour faire du beurre. Dans la maison d'à côté un vieux bijoutier se bat avec un maigre soufflet contre le vent de sable qui recouvre bracelets et bagues d'argent. Autour de la maigre végétation, rasée par endroits, les gens de Raïs vivent comme ils peuvent. Ahmed, ébéniste, a commencé à travailler le bois avec son grand-père, puis avec son père et aujourd'hui, il continue avec ses fils. Sa spécialité reste les éléments de cuisine, car à Raïs, on retape la cuisine pour les jeunes mariés surtout. Non loin de là, un gamin, miséreux, s?éreinte à pousser une brouette, les mollets écorchés par le surpoids. A peine rentré de l?école, qu?il a été obligé d?aller chercher une bouteille de gaz butane chez âmi Khalifa, dont l?exiguë boutique occupe la première place du négoce dans tout Raïs. Ahmed fait ce va-et-vient chaque fois que sa mère le lui demande. A 12 ans, ce petit accomplit déjà la tâche des grands. «J?ai pas le temps de jouer avec mes amis. J?achète le pain, je fais les courses, le gaz butane. Je vais à l?école, j?aime jouer au foot, mais je n?ai pas le temps» regrette-t-il. Pourquoi ? «Je fais cela parce que tous les autres sont morts?», explique Ahmed, les larmes aux yeux. Même les deux fils du voisin que sa mère avait l?habitude d?envoyer acheter du pain ne sont plus. Eux aussi ont été lâchement assassinés dans leur taudis badigeonné à la chaux avec leur père Saïd, gardien d?une immense pommeraie à Raïs même. Aucun président n?a mis les pieds à Raïs, mais nombre d?entre eux auraient voulu lui dire beaucoup de choses : «Monsieur le président, les vêtements que je porte, une personne a été suffisamment gentille pour me les donner. On a tout perdu, presque notre vie aussi.» Du persil, des pois chiches, des olives et même du qalbelouz. Chez Mohamed, un des rares commerçants d?alimentation générale qui activent dans le hameau de Raïs, l?odeur du ramadan enveloppe l?atmosphère. Elle remplace l?odeur de la mort. Pour tous, la préoccupation première est de survivre, sans gaz de ville, sans travail, sans avenir. Et sans ressource autre que l?entraide entre des villageois généreux qui puisent aussi leur force dans leur fatalisme.