Pierrot le dingue est en prison pour la quatrième fois depuis son enfance et sa dernière condamnation confirme son sobriquet : dingue pour évasions répétées ; dingue pour avoir voulu percer un coffre-fort sans y parvenir ; dingue pour l'avoir soulevé et jeté dans l'escalier ; dingue pour l'avoir remonté et jeté par la fenêtre... Pierrot était aussi dingue que ce coffre-fort qui refusait de s'ouvrir. Alors, Pierrot a volé une camionnette et transporté le coffre-fort infernal jusque chez lui. A coups de barre à mine, de marteau et autres outils de terrassier, la boîte blindée a enfin révélé son trésor : 25 francs. Pierrot s'était évadé, il avait fait tout ça pour 25 francs ! Une misère, et cinq ans de prison pour cette misère-là, avec une femme et un enfant dehors. Il n'y a pas de quoi s'attendrir car cet homme-là est un récidiviste. Un exemple dans son genre. De maison de redressement en bêtises accumulées, Pierrot, fils de gendarme, est devenu voleur. A présent, il rempaille des chaises à 80 centimes la pièce, dans l'atelier d'une prison de province. Il a trente ans. Depuis l'adolescence, il n'a connu d'autre vie que celle des monte-en-l'air et autres perceurs de coffres. C'est un récidiviste dont plus personne ne s'occupe. A son âge, on a choisi son existence. A lui de faire le point, à lui de décider si l'honnêteté paie plus et mieux que le reste et si la considération des uns vaut mieux que le pardon des autres. Or, il arrive qu'un jour de 1955, Pierrot le dingue demande à parler au juge et dit : «Laissez-moi sortir. J'ai quelque chose à faire et si la justice est comme vous le dites, vous n'avez pas le droit de me refuser ça.» Sortir ? On ne sort pas comme ça de prison, quand il vous reste quatre ans à faire sur cinq fermes ! Il n'est même pas question d'en parler. Quant à voir le juge, il faut une raison grave. Pierrot en a une : il vient de s'apercevoir qu'il a un enfant. «J'ai un enfant, c'est grave ; il faut que je m'en occupe ! Je veux voir le juge. ? Et alors ? répond le gardien, il a six mois, ton marmot. Tu aurais pu t'en apercevoir plus tôt ! Il fallait travailler mon brave, au lieu de jeter inconsidérément les coffres-forts par les fenêtres dans l'espoir de les ouvrir ! Et puis, tu n'es que son père, cet enfant a bien une mère que diable, et qui s'en occupe mieux que tu ne saurais le faire ! D'ailleurs, tu es en prison, tu n'es pas un père digne de ce nom pour l'instant, alors laisse la mère s'en occuper.» L'ennui justement, c'est qu'il y «avait» une mère. Ce qu'il est convenu en tout cas d'appeler une mère, car elle a disparu. Pierrot vient d'en être informé par les voies légales jusque dans sa cellule. Lui qui ne reçoit jamais de courrier s'est vu remettre, la veille, une lettre à en-tête de l'administration, aussi courte que péremptoire, tamponnée d'innombrables cachets et sans espoir aucun : «Monsieur Untel, Vous êtes informé que Mlle Untel, votre concubine, ayant déclaré être la mère d'un enfant né de vous, a renoncé définitivement à ses droits maternels en confiant votre fils à l'Assistance publique. L'enfant a été prénommé Jean. Il est âgé de deux mois. Etant donné votre situation présente et l'incapacité où vous vous trouvez d'assurer l'éducation de cet enfant, l'administration l'a confié à des parents nourriciers. La pension de l'enfant sera réglée en partie par les services d'aide sociale et en partie par vos soins, dans la mesure de vos possibilités qui seront établies par l?administration pénitentiaire.» Signé : illisible. Alors, Pierrot répète inlassablement depuis la veille à son gardien : «Je veux voir le juge, il faut que je sorte... mon gosse est dans l'ennui. ? Fais une lettre, répond le gardien, on transmettra.» (à suivre...)