Résumé de la 10e partie n Desespéré de voir son fils dépérir, Printemps fit venir un savant perse qui lui redonna de l?espoir en affirmant pouvoir le mener jusqu?à sa bien-aimée. Alors Printemps donna à son fils cinq mille autres dinars, et lui acheta des chameaux qu'il fit charger de riches marchandises et de ces soieries de Koufa si belles de couleur, et lui donna des chevaux pour lui et pour sa suite. Puis au bout de la semaine, comme Bel-Heureux avait suivi les prescriptions du savant et s'en était admirablement trouvé, Printemps jugea que son fils pouvait sans inconvénient entreprendre le voyage de Damas. Bel-Heureux fit donc ses adieux à son père, à sa mère, à Prospérité et au portier et, accompagné des v?ux que tous les siens appelaient sur sa tête, il partit de Koufa avec le savant de Perse. Or, Bel-Heureux, à ce moment-là, avait atteint la perfection de l'adolescence, et ses dix-sept ans avaient duveté soyeusement ses joues à l'incarnat léger, ce qui rendait ses charmes encore plus séducteurs et faisait que nul ne le pouvait regarder sans s'arrêter extatiquement. Aussi, le savant de Perse ne fut pas longtemps sans éprouver l'effet délicieux des charmes de l'adolescent, et l'aima-t-il de toute son âme, en vérité, et se priva-t-il, durant tout le voyage, de toutes les commodités pour l'en faire profiter. Et de le voir content, il était ravi à l'extrême... A ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète, se tut. Mais lorsque fut la deux cent quarante-troisième nuit, elle dit : ...Et de le voir content, il était ravi à l'extrême. Dans ces conditions, le voyage fut agréable et sans fatigue, et l'on arriva de la sorte à Damas. Aussitôt, le savant de Perse alla avec Bel-Heureux au souk principal et loua, séance tenante, une grande boutique qu'il fit remettre à neuf. Puis il fit faire des étagères élégantes tendues de velours, où il rangea en bon ordre ses flacons précieux, ses dictames, ses baumes, ses poudres, ses sirops contenus dans le cristal, ses thériaques fines conservées dans l'or pur, ses pots de faïence persane aux reflets métalliques où mûrissaient les vieilles pommades composées du suc de trois cents herbes rares ; et entre les grands flacons, les cornues et les alambics, il plaça l'astrolabe d'or. Après quoi il se vêtit de sa robe de médecin et se coiffa de son grand turban à sept tours, puis songea à habiller Bel-Heureux qui devait lui servir d'assistant, exécuter les prescriptions, piler dans le mortier, faire les sachets et écrire les remèdes sous sa dictée. A cet effet il le vêtit, lui-même, d'une chemise de soie bleue et d'un gilet de cachemire, lui passa autour des hanches un tablier de soie rose où couraient des filets d'or, et le fit se tenir entre ses mains. Puis il lui dit : «O Bel-Heureux, dès ce moment, il te faut m'appeler ton père, et moi je t'appellerai mon fils, sans quoi les habitants de Damas croiraient qu'il y a entre nous ce que tu comprends !» Et Bel-Heureux répondit : «J'écoute et j'obéis !» Or, à peine la boutique où le Persan devait donner ses consultations eut été ouverte, que de tous côtés les habitants s'y rendirent en foule, les uns pour exposer leur cas, les autres seulement pour admirer la beauté de l'adolescent ; et tous étaient stupéfaits et charmés à la fois d'entendre Bel-Heureux converser avec le médecin dans la langue persane qu'ils ne connaissaient pas et qu'ils trouvaient délicieuse de la bouche du bel assistant. Mais ce qui porta à son extrême limite l'ébahissement des visiteurs, c'était la façon dont le médecin persan devinait les maladies. En effet, le médecin regardait dans le blanc des yeux pendant quelques moments le malade qui avait recours à lui, puis lui présentait un grand verre de cristal et lui disait : «Pisse !» Et le malade pissait dans le verre, et le Persan mettait le verre à hauteur de son ?il et l'examinait, puis disait : «Tu as telle et telle chose !» Et le malade toujours s'écriait : «Par Allah ! c'est la vérité !» Ce qui faisait que tout le monde levait les bras en disant : «Ya Allah ! quel savant prodigieux ! Nous n'avons jamais ouï parler d'une chose pareille ! Comment peut-on connaître ainsi les maladies par l'urine ?» (à suivre...)