Résumé de la 15e partie n A la demande de la maîtresse du logis, Scharkân se mit à réciter des poèmes d?amour. Alors la jeune femme se leva et vint prendre Scharkân par la main et le fit s'asseoir à ses côtés et lui dit : «Prince Scharkân, sans doute joues-tu aux échecs ?» Il dit : «Certes, ô ma maîtresse, mais, de grâce ! ne sois point comme celle dont se plaint le poète : ?Je parle en vain ! Broyé par l'amour, que ne puis-je à sa bouche heureuse me désaltérer et, d'une gorgée à ses lèvres bue, respirer la vie ! ?Ce n'est point qu'elle me néglige ou ne soit point pour moi pleine d'attentions ; ce n'est point qu'elle diffère de faire porter le jeu d'échecs pour me distraire. Mais est-ce là la distraction ou le jeu dont a soif mon âme ? Et d'ailleurs, pourrais-je lui tenir tête, moi qui suis fasciné par le jeu en coulisse de ses yeux, les regards de ses yeux qui pénètrent mon foie !?» Mais la jeune femme, souriante, approcha les échecs et commença le jeu. Et Scharkân, chaque fois que c'était son tour, au lieu de faire attention à son jeu, la regardait au visage et il jouait tout de travers, mettant le cheval à la place de l'éléphant et l'éléphant à la place du cheval. Alors elle se mit à rire et lui dit : «Par le Messie ! que ton jeu est savant !» Il répondit : «Oh ! mais c'est la première partie. D'ordinaire ça ne compte pas !» Et l'on rangea le jeu de nouveau. Mais elle le vainquit une seconde fois, et une troisième, quatrième, et cinquième fois. Puis elle lui dit : «Voici qu'en toutes choses tu es vaincu !» Il répondit : «O ma souveraine, il sied d'être le vaincu d'une partenaire telle que toi !» Alors elle fit tendre la nappe et l'on mangea et l'on se lava les mains ; puis on ne manqua pas de boire de toutes les boissons. Alors elle prit une harpe ; et comme elle était fort habile sur la harpe, elle préluda par quelques notes lentes et déliées et chanta ces strophes : «On n'échappe point à sa destinée, qu'elle soit cachée ou apparente, qu'elle ait le visage serein ou allongé. Oublie donc tout, ami, et bois à la beauté, si tu le peux, et à la vie. Je suis la beauté vivante que nuI fils de la terre ne saurait regarder avec indifférence !» Elle se tut ; et seule la harpe résonna sous les fins doigts de cristal. Et Scharkân, ravi, se sentait perdu dans des désirs infinis. Alors, sur un prélude nouveau, elle dit encore : «Une amitié peu sincère pourrait seule supporter l'amertume de la séparation. Le soleil lui-même pâlit quand il doit quitter la terre.» Mais à peine ce chant venait-il de cesser que tous deux entendirent au-dehors un tumulte énorme et des cris ; et ils regardèrent, et virent s'avancer une grande troupe de guerriers chrétiens armés de glaives nus et qui criaient : «Te voilà tombé entre nos mains, ô Scharkân. Et voici ton jour de perdition !» Lorsque Scharkân entendit ces paroles, il pensa d'abord à une trahison, et ses soupçons se portèrent sur la jeune femme ; et comme il se tournait de son côté pour lui en faire le reproche, il la vit, toute pâle, s'élancer au-dehors, et, parvenue en face des guerriers, leur dire : «Que voulez-vous ?» Alors leur chef s'avança et lui dit, après avoir baisé la terre entre ses mains : «O reine pleine de gloire, ô notre maîtresse Abriza, la perle la plus noble d'entre les perles des eaux, ignores-tu donc la présence de celui qui est dans ce monastère ?» Alors la reine Abriza leur dit : «Et de qui parlez-vous ?» (à suivre...)