Au tribunal de Dijon, ce lundi 10 mai 1993, s'ouvre un procès pour meurtre appelé à durer deux jours seulement. Tout doit être terminé le lendemain mardi. C'est un jeune homme qu'on va juger. Maigre, les traits creusés, le nez allongé, Lucien R., vingt-deux ans, fait son entrée dans le box. Il a l'air triste, réservé réfléchi... Il est accusé d'avoir tué, le 17 avril 1991, le fils de sa maîtresse, David T., de trois ans seulement son cadet. Noëlle T. avait, en effet, dix-sept ans de plus que lui ; elle était alors âgée de trente-sept ans et lui de vingt. Et le plus étonnant était que le lien qui les unissait était purement platonique... La lecture de l'acte d'accusation va nous faire connaître en détail ce drame hors du commun... Lucien R. habite le village de M. Il est le dernier de trois garçons. Il est d'une famille modeste : le père est commis dans une ferme. Lucien a une enfance et une adolescence sans histoires. A dix-huit ans, comme il a la passion des voitures, il passe un CAP de carrossier et entre dans un garage. En même temps, il s'inscrit au club automobile de la région. C'est ce goût pour les autos qui va le mettre en relations avec la famille T. Les T. habitent eux aussi le village de M. Le fils, David, fréquente le même club automobile que Lucien, et le père, Antoine, vend des pièces détachées de voiture. Le jeune homme est fréquemment invité chez les T. et il s'y plaît d'autant plus qu'il sympathise aussi avec la mère, Noëlle, jolie femme pleine de vie et d'enthousiasme. Les T. deviennent ainsi son second foyer... Nous sommes alors en juin 1990 et les choses n'iraient peut-être pas plus loin s'il n'y avait un drame dans la famille : Antoine, le mari, boit et lorsqu'il a bu, bat sa femme. Tant et si bien que le mot de divorce finit par être prononcé... C'est Noëlle T. qui fait le premier pas. En décembre 1990, elle déclare sa flamme à Lucien. Mais elle n'ose pas le faire elle-même. Elle lui fait remettre une lettre d'amour par sa fille Catherine, âgée de treize ans. Lucien s'aperçoit qu'il partage ses sentiments et, dès lors, un lien tendre et chaste s'établit entre eux. Interrogée plus tard sur ce qui l'a conduite à se déclarer, Noëlle dira : «Il était doux. C'était le premier homme qui me donnait l'impression d'exister.» Et Lucien dira de son côté : «Ce n'est pas son physique qui m'a attiré, plutôt ce qu'elle avait en elle. Noëlle était affectueuse et sensible, compréhensive pour les conneries des jeunes. Je n'avais jamais aimé comme ça.» Ils se voient en cachette l'après-midi, mais leurs relations restent platoniques. «On parlait, on jouait à la crapette. Je la respectais. Je ne voulais pas qu'elle pense que je venais vers elle uniquement pour cela...» En février 1991, Noëlle T. obtient la séparation. Elle quitte le domicile conjugal avec sa file Catherine, tandis que David reste avec le père. Ce dernier apprend alors la relation entre Noëlle et Lucien. Il entre en fureur. Il adresse au jeune homme des menaces publiques. Il lui déclare : «Je vais acheter un 22 long rifle et je te tuerai !» Il le poursuit en voiture, tente de le terroriser, lui fait des queues de poisson. Il lui crève ses pneus, lui barbouille sa voiture de peinture. Mais Lucien ne répond pas à ces agressions, pas plus qu'il ne cède à sa mère, qui lui intime l'ordre de rompre avec Noëlle. Dans le village, chacun redoute un drame. Ses amis mettent en garde Lucien, qui finit par s'acheter lui aussi un fusil, qu'il met sous le siège de sa R 5... (à suivre...)