Diagnostic n 35 000 pages précieuses de l'histoire sont répertoriées en Algérie. La moitié est entre les mains de particuliers, qui n'en saisissent pas la portée civilisationnelle. Pillage, trabendo et mauvais traitements mettent en danger l'histoire. «Pages d'histoire», «richesse anthropologique», «trésor inestimable»… les mots et les qualificatifs ne manquent pas, aujourd'hui, quand on veut ouvrir le grand livre dépoussiéré des vieux manuscrits et épigraphes laissés à la postérité par des érudits, scientifiques et savants algériens, maghrébins et étrangers. Des manuscrits estampillés, d'autres émanant d'auteurs anonymes, des bouts de papier qui montent péniblement les chemins escarpés des temps immémoriaux. En somme, un grand livre dépositaire d'un patrimoine ancestral qui n'a d'égal que l'immensité jamais tarie de l'histoire. Des anthropologues algériens estiment leur nombre entre 30 000 et 35 000 unités. «La moitié phagocytée par l'humidité et les moisissures», regrette Mokhtar Hassani, président de l'Association algérienne des manuscrits (AAM) qui, avec une dizaine de ses collègues, s'évertue à recomposer le puzzle de l'histoire en cherchant les pièces manquantes éparpillées çà et là. Aujourd'hui, si les tout nouveaux laboratoires de conservation ouverts récemment dans les universités d'Alger, d'Oran et de Constantine, avec des techniques de stérilisation, de reliure et de microfilms sophistiqués, et les vieilles khizanate d'antan implantées dans le sud du pays notamment, s'efforcent à sauver ce qui peut l'être, le problème de dépérissement est, selon cet universitaire, réel avec les milliers de manuscrits qui dorment chez un grand nombre de particuliers «inconscients qu'il s'agit d'un patrimoine collectif et non individuel». A Adrar, Béjaïa, Alger, Tizi Ouzou, des cas de propriétés intellectuelles privées ont, dans ce registre précis, été signalés. Il s'agit de personnes subjuguées par la découverte d'un hobby en héritant généralement de documents cédés par des aïeux, eux-mêmes disciples d'érudits ou les ayant dénichés durant leurs pérégrinations, sur la route du pèlerinage vers La Mecque et Médine surtout. Pis encore, notre interlocuteur nous a révélé que des responsables de haut rang, des walis et des directeurs centraux, ont accaparé de vieux manuscrits sans jamais les restituer. «Ils les prenaient pour garnir leurs maisons», a asséné notre anthropologue. Mettre la main sur ces bijoux n'est pas une sinécure pour les chercheurs. Pourtant, de l'avis du président de l'AAM, ces personnes anonymes n'auront rien à craindre : «S'il veulent nous les offrir à titre gracieux, nous leur en serons très reconnaissants. S'ils veulent les monnayer, l'Etat est prêt à les payer et s'ils veulent les garder pour en faire un bijou de famille, qu'ils nous offrent au moins la possibilité de les inventorier.» «C'est-à-dire faire un listing et connaître la portée épistémologique des manuscrits», a-t-il expliqué non sans rappeler que le problème subsistera tant qu'un vrai travail de sensibilisation ne sera pas mené à l'adresse de ces personnes récalcitrantes. «En l'absence de travail d'information et de sensibilisation, notre tâche est durement pénalisée, en termes de temps, d'efforts et de moyens, d'autant que le budget affecté par le ministère de tutelle aux laboratoires s'est avéré insuffisant», a-t-il argué.