Dénonciation Précarité et ignominies, deux mots-clés pour dire cette vie d?antan. Il n?y avait pas foule, vendredi, à la salle El-Mougar d?Alger. Par un temps pluvieux qui régnait sur la capitale, la salle bleue a projeté, à l?occasion du 42e anniversaire des évènements du 17 octobre 1961, le film de Jean Brehat et de Rachid Bouchareb intitulé Vivre au paradis. Ce dernier, adapté du roman Vivre au paradis d?une oasis à un bidonville de Brahim Benaïch (paru aux éditions Desclée Brower), est une fiction inspirée du réel et qui traite des conditions de vie des émigrés algériens durant l?époque coloniale. L?histoire se déroule en 1960 dans les bidonvilles de Nanterre, une ville située dans la banlieue ouest de la capitale française. Lakhdar (Roschdy Zem) est un jeune Algérien qui y vit avec d?autres hommes dans une baraque où la précarité est le mot-clé. Lassé de ces taudis qui lui servent de gîte, Lakhdar ne pense qu?à sa famille qu'il a laissée là-bas, au bled. Celle-ci est composée de l?épouse Nora (Fadéla Belkebla) et de ses deux enfants qui ne vivent qu?au rythme des lettres qu?envoie l?émigré et dans lesquelles il glisse quelques billets. Une maigre pension, à la hauteur du métier de man?uvre qu?exerce Lakhdar. Las de cette précarité sordide dans laquelle il évolue et de son éloignement des siens, le jeune homme décide un jour de ramener sa famille en France auprès de lui afin qu?ils vivent ensemble comme les autres familles algériennes «parquées» dans ce «goulag». Une lourde entreprise qui coûtera à Lakhdar toute sa raison. En effet, lorsque sa famille arrive dans l?Hexagone, celle-ci a la tête pleine d?un ailleurs serein, un monde inconnu, certes, mais qui devait être meilleur que celui qu?elle venait de laisser en Algérie. Une illusion qui s?évanouira lorsque Lakhdar leur présentera leur nouvelle maison de «França». Honteux du lieu ignoble dans lequel il évolue, il promet à son épouse une autre maison. Un appartement spacieux alimenté en électricité, en gaz et en eau, avec même des chambres pour les enfants. Naïfs, Nora et les enfants boiront les paroles du chef de famille. Et, crédule, Lakhdar entamera, les jours qui suivront, une demande de logement. Une démarche qui lui fera découvrir son statut de «Français d?outre-mer». Bref, un être inférieur aux Français de pure souche. Blessé dans son amour-propre et par le peu de choses qu?il a à offrir à sa famille, Lakhdar décide de passer par une location de particulier à particulier, une solution coûteuse pour lui. Lakhdar prendra un deuxième emploi de nuit pour atteindre la somme demandée. Et, dans cette course vertigineuse vers le mieux-être, Lakhdar renoncera à ses principes, à son identité et à l?amour de sa vie, Nora en l?occurrence. Celle-ci, excédée par les agissements de son époux, ira trouver consolation chez son amie Aïcha. Une femme de caractère qui active au sein du FLN et qui incitera par la suite les habitants de ces taudis à sortir manifester à Paris, le 17 octobre 1961, afin de contester l?ignominie que subissent les Algériens dans l?Hexagone et en Algérie et, enfin, demander l?indépendance. Ce jour-là, Nora assistera, impuissante, à l?exécution de 200 Algériens. Les survivants avaient été entraînés par leurs tortionnaires dans des fourgons pour continuer leur sale besogne. Une séquence d?images d?archives défilera pour montrer de vrais cadavres couverts de sang. Lakhdar, qui avait accompagné Nora à cette manifestation, est passé à tabac, mais il eut plus de chance que la majorité des manifestants. Lakhdar et sa famille regagneront leur maison de fortune. Une fois chez eux, les deux époux, chacun de son côté, prendront deux chemins différents, Nora, révoltée, activera au sein du FLN à l?insu de son époux et Lakhdar, blessé dans son amour-propre, se résoudra à quitter le taudis. Deux destins différents qui finiront par séparer le couple. Ce dernier ne se réconciliera qu?à l?indépendance où, dans la liesse, Lakhdar promettra à Nora de retourner chez eux, en Algérie. Un rêve que Nora n?a cessé de caresser mais qui ne se réalisera malheureusement pas. Car, faute de moyens et sans aucune aide de l?Etat algérien qui venait de se mettre en place, Lakhdar et sa famille resteront dans ces baraques huit ans, avant d?être logés dans une HLM. Lourd de sens, ce film montre comment la première génération d?émigrés s?est trouvée contrainte à rester en France. Une France qui les avait délogés de leurs taudis pour les placer dans des ghettos. Vivre au paradis est une coproduction franco-belgo-norvégienne, produite par le studio Canal+, Arte France Cinéma et le WFE, et mise en scène par Olivier Lorell et Boualem Guerdjou.