Résumé de la 41e partie n Les rois Roumzân et Kanmakân règnent à tour de rôle, mais d'un commun accord, ils ont décidé de se venger de Mère-des-Calamités. Et le chambellan dit : «O rois, ce marchand sollicite une audience de votre magnanimité, car il a deux lettres à vous remettre.» Et les deux rois dirent : «Fais-le entrer !» Alors entra un vieillard dont la figure portait l'empreinte de la bénédiction et qui pleurait ; il baisa la terre entre les mains des rois et dit : «O rois du temps, est-il possible qu'un musulman soit respecté chez les mécréants, dépouillé et malmené chez les vrais Croyants, dans les pays où règnent la concorde et la justice ?» Et les rois lui dirent : «Mais que t'est-il donc arrivé, ô respectable marchand ?» Il répondit : «O mes maîtres, sachez que j'ai sur moi deux lettres qui m'ont toujours fait respecter dans tous les pays musulmans ; car elles me servent de sauf-conduit et me dispensent de payer les dîmes et les droits d'entrée sur mes marchandises. Et l'une de ces lettres, ô mes maîtres, outre cette vertu précieuse, me sert également de consolation dans la solitude et me tient compagnie dans mes voyages ; car elle est écrite en vers admirables, et si beaux, en vérité, que je préférerais perdre mon âme que de m'en séparer !» Alors les deux rois lui dire : «Mais, ô marchand, tu peux au moins nous faire voir cette lettre ou seulement nous en lire le contenu !» Et le vieux marchand, tout tremblant, tendit les deux lettres aux rois, qui les remirent à Nôzhatou en lui disant : «Toi qui sais lire les écritures les plus compliquées et si bien donner aux vers l'intonation qui sied, de grâce ! hâte-toi de nous en délecter !» Or, à peine Nôzhatou eut-elle défait le rouleau et jeté un regard sur les deux lettres qu'elle poussa un grand cri, devint plus jaune que le safran et tomba évanouie. Alors on se hâta de l'asperger avec de l'eau de rose ; et lorsqu'elle fut revenue de son évanouissement, elle se leva vivement, les yeux tout en larmes et courut au marchand et, lui prenant la main, qu'elle baisa. Alors tous les assistants furent à l'extrême limite de l'ahurissement, devant une action aussi contraire à toutes les coutumes des rois et des musulmans ; et le vieux marchand, dans son émotion, chancela et faillit tomber à la renverse. Mais la reine Nôzhatou le soutint et, le conduisant, elle le fit s'asseoir sur le tapis même où elle était assise et lui dit : «Ne me reconnais-tu donc plus, ô mon père ? Suis-je donc si vieillie depuis le temps ?» A ces paroles, le vieux marchand crut rêver et s'écria : «Je reconnais la voix ! Mais, ô ma maîtresse, mes yeux sont vieux et ne peuvent plus rien distinguer !» Et la reine dit : «O mon père, je suis celle-là même qui t'a écrit la lettre en vers, je suis Nôzhatou'zamân !» Et le vieux marchand, cette fois, s'évanouit complètement. Alors, pendant que le vizir Dandân jetait de l'eau de rose sur la figure du vieux marchand, Nôzhatou, se tournant vers son frère Roumzân et son neveu Kanmakân, leur dit : «C'est lui, le bon marchand qui m'a délivrée quand j'étais l'esclave du Bédouin brutal qui m'avait volée dans les rues de la Ville-Sainte !» Aussi, lorsque le marchand fut revenu de son évanouissement, les deux rois se levèrent en son honneur et l'embrassèrent ; et à son tour il baisa les mains de la reine Nôzhatou et du vieux vizir Dandân ; et tous se félicitèrent mutuellement de cet événement et rendirent grâces à Allah qui les avait tous réunis ; et le marchand leva les bras et s'écria : «Béni soit et glorifié Celui qui modèle des cœurs inoublieux et les parfume de l'admirable encens de gratitude !» Après quoi, les deux rois nommèrent le vieux marchand cheikh général de tous les khâns et de tous les souks de Kaïssaria et de Bagdad et lui donnèrent libre accès au palais, de jour comme de nuit. (à suivre...)