Image n Du matin au soir, les clients, cloués sur des chaises, boivent et reboivent à la santé de tout ce qui bouge. L'ivresse est recherchée à coups de tournées, pour fuir une réalité peu reluisante. La matinée commence lentement pour les «gueules de bois». Après une soirée bien arrosée, le buveur retourne le matin au bar, pour couper avec l'ivresse. Les visages livides, les yeux à moitié fermés, ils cherchent une raison de ne plus boire. Aucune indication. Les amis invitent. La journée repart lentement avec de belles promesses. On se raconte les histoires de la veille. Comment untel a bu jusqu'à tomber malade et comment un autre a glissé dans les escaliers... Les blagues scellent et rapprochent les nouvelles rencontres. Hier, faisant partie désormais du patrimoine collectif, est interprété de manière conventionnelle de façon à plaire à tout le monde. Les paroles encourageantes pour la journée qui s'annonce, et les défis vont bon train. «Je peux boire jusqu'à demain», entend-on auprès de gens qui entament mal l'ivresse. Le début de l'après-midi, d'autres équipes arrivent apportant leur chaleur, leur enthousiasme, leur soif. Les premiers clients, confortablement installés dans leur insouciance, attendent passivement l'ivresse. Peu à peu, le calme fait place à un vacarme qui, curieusement, stimule les clients. Le rythme de la beuverie s'accélère, la musique enflamme les âmes et chaque morceau est vécu comme le moment le plus inoubliable, les sons en mille tonalités percent comme des rayons de soleil, des âmes refroidies, rongées par des centaines de maux. Chacun cherche son salut dans un verre, voulant atteindre ses limites dans la boisson, pour se sentir homme. Des groupes se forment autour d'une table, d'autres au comptoirs, debout, le bar prend des dimensions à l'approche du crépuscule. La bière coule à flots, le vin trône plus loin sur des tables bien garnies. La soirée prend des allures agréables. L'ivresse entame la danse du ventre pour quelque client. L'ivresse s'empare, déjà, d'une bonne moitié de la clientèle. Les mêmes paroles lassantes sont répétées, les sujets les plus banals prennent soudain des allures dramatiques. Quelques-uns haussent le ton, pour signifier qu'ils sont maîtres d'eux-mêmes. D'autres vomissent les mêmes paroles, faisant les mêmes gestes. L'assurance tant bien que mal affichée au début de l'aventure, quitte ces messieurs. Les syllabes ne se distinguent plus nettement, les mots sont confus, les clients bégaient au rythme de hoquets interminables. Certains jettent l'éponge prétextant l'heure tardive pour fuir le combat. En titubant, ils quittent, tête basse, l'arène, sous le regard amusé de leurs amis. Les filles de joie apparaissent pour donner plus d'éclat à cette soirée qui commence à être ennuyeuse. Finies les discussions sérieuses, les problèmes, place aux choses légères, aux espérances érotiques. Une fille à demi nue, sans statut, sans beauté, devient la convoitise de tous les clients. Elles se sentent femmes au milieu des yeux de fauves. Elles sont la pâle copie de l'ivresse, elles chantent l'amour à des oreilles vides, pour qui seul importent le moment et l'instant parfois au détriment de l'autre.