Secret Semoule, miel, sucre, huile et eau, une combinaison qui préserve un legs ancestral. Les clients pressés évoluent serrés dans les petites ruelles de ce marché du centre-ville, les bras chargés de sachets, de toutes sortes de pains, d?olives et de piments aussi. Dans cette ville de La Mitidja, qui a enfin retrouvé vie après de longues années d?isolement et de terreur, tous les salamalecs de ces personnes se croisant mettent un peu de gaieté. Un couffin plein à craquer à la main, un vieux fait la queue sous le soleil, s'arrête, repart, il ne sait plus où donner de la tête. Devant le domicile des Aksil qui, chaque ramadan, devient une grande usine de zlabia, le vieux prend congé de ses deux amis restés dans la queue. Dans les senteurs épicées et l'effervescence joyeuse de Zenqet-L?Aâreb, bouillonnant et populeux quartier boufarikois, trois familles sont citées lorsqu?on évoque la zlabia, un acronyme dont on ne connaîtra peut-être jamais la signification tant le mystère sur l?origine de cette pâte cuite et mielleuse reste entier. Aksil, Chenoune et Khmiès sont ces trois «dynasties». Pendant le ramadan, les rues attenantes deviennent subitement piétonnes. Mais c'est dans cette rue, aux boutiques qui ne paient pas de mine, que l'on trouve la meilleure zlabia de Boufarik. Là, une famille, les Aksil, est chaque jour sur le gril pour perpétuer une tradition vieille de presque 110 ans. Produire à profusion cette pâtisserie aux allures d'étrange serpentin orangé. L?échoppe, c?est toute la maison. Huit poêles allumés, six bouteilles de gaz butane, un grand pétrin, mais surtout une famille, une grande famille où chacun fait son travail avec minutie, bravant la chaleur suffocante de la cuisson. Les Aksil ont, en fait, une spécialité. Un legs ancestral à préserver avec de simples ingrédients : semoule, farine, sucre, eau, et une cuisson qui lui procure presque un goût de miel. La zlabia réussit la prouesse de faire l'unanimité des générations, malgré son fort pouvoir calorique favorisant des rondeurs ensuite difficiles à éliminer. Celle de Boufarik est assimilée à Aksil et on ne sait pas réellement qui a fait la renommée de l?autre. «Les gens défilent chez nous par centaines, achetant par kilos entiers», affirme Aksil père, qui, à près de 75 ans, ne sait rien faire d?autre. Ses enfants ont appris le métier, la relève est ainsi assurée. La famille Khmiès a, elle aussi, une histoire jalonnée d?exploits : 100 ans et une notoriété sans frontières, atterrissant même à? Wellington ! La capitale de la lointaine Nouvelle-Zélande par la grâce d?un jeune Boufarikois établi au pays des Morris et du rugby. A quelques mètres de là, une autre famille, les Chenoune, fait parler son label. Le belvédère fait office de grand laboratoire. C?est ici, à partir de 5h, l?heure d?El-Imsak qu?«el-hadja» et ses cinq filles commencent le travail. L?entonnoir est manié avec tact et finesse par l?une des filles. L?autre ne chôme pas. Une fois les baguettes cuites, elle les rince à l?aide de longues pincettes dans un profond tonneau plein de «assila», du miel «retravaillé» avec de la fleur d?oranger et surtout une grande quantité d?eau. Une dizaine de secondes s?écoule avant que la charmante fille nous fasse sortir sa zlabia mielleuse et dorée du tonneau. L?image évoque celle d?une belle sirène qui sort du tumulte des vagues. Mais la vieille zlabia boufarikoise a des rides qu?elle ne peut effacer. Naguère, sa saveur n?avait d?égal que les senteurs parfumées des immenses prairies de La Mitidja. Aujourd?hui, ni La Mitidja ni la zlabia n?ont su garder leur identité.