Il était une fois un roi très puissant, dont l?épouse était extrêmement belle. Il l?aimait par-dessus tout et ne pouvait imaginer la quitter un seul instant. Un jour, un homme, jaloux de son bonheur, vint dire au seigneur du pays voisin que le roi préparait une offensive contre lui, qu?il rassemblait à ses frontières une grande armée et qu?il allait bientôt l?attaquer. Le seigneur décida aussitôt de le devancer. Quand le roi apprit que son voisin avait levé ses troupes, il fut accablé. Depuis toujours, il n?avait cessé de maintenir la paix. Il partit donc avec sa suite pour régler ce malentendu et conclure une paix durable avec le seigneur voisin. La reine supportait très mal d?être séparée de son mari. Elle restait tout le jour assise à sa fenêtre à regarder le paysage. Ainsi, vit-elle successivement fondre la glace sur la rivière, fleurir les arbres au printemps, mûrir le blé sous le chaud soleil de l?été, tomber les feuilles en automne, puis danser les premiers tendres flocons de neige de l?hiver. Neuf mois s?étaient écoulés et le roi n?était pas revenu. Le jour de Noël, la reine donna naissance à une magnifique petite fille. Les cloches sonnèrent pour fêter l?heureux événement et, comble de bonheur, le roi rentra enfin de son long voyage. Il avait conclu une paix durable avec son voisin. Mais le bonheur est fugace. Quand on croit le tenir, il s?enfuit comme un oiseau apeuré. Lorsque la reine aperçut le visage de son bien-aimé, son c?ur s?arrêta de battre. Elle lui sourit pour la dernière fois et mourut dans ses bras. Le roi faillit perdre la raison, tant son chagrin était grand. Le temps guérit, dit-on, toutes les peines. Un an passa, puis deux, puis trois? et un jour le roi prit une autre femme pour s?occuper de sa petite fille. Elle était belle comme l?étoile du berger et ses yeux brillaient de mille feux comme des émeraudes. Mais elle était aussi orgueilleuse et cachait son âme noire sous une gentillesse feinte. La nouvelle reine possédait un miroir magique. Elle passait le jour entier à s?y admirer. ? Miroir, précieux miroir, dis-moi qui est la plus belle ? demandait-elle sans cesse. ? C?est toi, ma maîtresse, la plus belle de toutes, répétait le miroir. La reine n?avait pas même un regard pour la fille du roi qui grandissait de l?autre côté du palais. C?était maintenant une jeune fille aux yeux limpides, aux sourcils noirs et bien dessinés, à la peau blanche comme les perles. De plus, elle était modeste et agréable. Quand elle promit son c?ur à un jeune prince, son père en fut heureux. Il lui offrit pour dot une douzaine de châteaux forts et sept villes, puis il prépara la noce. La deuxième reine se prépara elle aussi. C?était comme si elle allait elle-même se marier. Elle mit sa plus somptueuse robe, brodée de perles, et se regarda, satisfaite, dans son miroir. ? Miroir, précieux miroir, dis-moi qui est la plus belle ? demanda-t-elle. ? La plus belle de toutes les femmes, répondit-il, c?est la jeune princesse. A son éclat rien n?est pareil. Une immense colère envahit la reine. ? Arrête de mentir, stupide miroir ! hurla-t-elle. Comment oses-tu me comparer à cette jeune personne ? Elle, la plus belle ? Regarde donc mes yeux ! Ils brillent comme des émeraudes. Et mon visage ? On dirait une rose épanouie. Avoue ! Je n?ai pas d?égale au monde. Tu ne pourras pas faire d?un mensonge une vérité, ni d?une vérité un mensonge. La plus belle de toutes les femmes est la jeune princesse. La reine, furieuse, jeta le miroir sous son lit et appela sa femme de chambre. ? Ecoute-moi bien, lui dit-elle. Tu vas attirer la princesse au plus profond de la forêt, l?attacher à un arbre et la laisser à la merci des animaux sauvages. Elle ne mérite pas autre chose ! La femme de chambre fut saisie d?effroi, mais n?osa protester. Elle craignait cette maîtresse cruelle qui n?hésitait pas à la fouetter. Quelques instants plus tard, elle s?approchait de la princesse lui chuchotait à l?oreille qu?elle avait quelque chose de mystérieux à lui montrer et lui donnait rendez-vous dans la forêt. (à suivre...)