Défi n Avec leurs économies, ils ont acquis, auprès d'un couple européen de leur connaissance qui quittait le pays, une belle maison. Les gens d'un certain âge de Zghara, sur les hauteurs d'Alger, se rappellent ce couple de vieillards qui habitaient seuls dans une grande maison. Le couple n'a pas toujours été vieux et la maison n'a pas toujours été vide… Zahra et Djamal — appelons-les ainsi — ont commencé à zéro. Lui était enseignant dans un lycée, elle institutrice. Djamal s'est marié assez jeune et il a vécu à la campagne, avec ses parents. Il a dû d'abord lutter pour imposer que sa femme travaille et ce n'était pas facile à cette époque-là. Son père, mais aussi ses frères, ne voyaient pas d'un bon œil que la jeune épouse quitte chaque matin la maison pour se rendre à la petite école du bourg. Ici, et surtout à cette époque-là (le début des années 1950), les femmes n'ont pas l'habitude de travailler à l'extérieur ni même de sortir sans raison impérieuse. Mais comme Djamal travaillait dans la même école et qu'il sortait et revenait avec elle, il a fini par imposer qu'elle enseigne. Première victoire contre une tradition désuète ! Et puis, la Guerre de Libération est venue. Avec la répression, le couple a fini par fuir à Alger et s'installer d'abord au Clos Salembier (actuel El-Madania) dans une baraque de fortune, puis à Notre-Dame- d'Afrique où il a pu louer une chambre dans une maison collective. Djamal a pu trouver un poste dans une école que les enseignants européens avaient en grande partie fuie ; puis, c'est au tour de Zahra de se faire recruter. Comme au bourg, ils étaient dans la même école. «Unis à toujours !», disait, en riant, Djamal. Mais la vie ne sera pas toujours agréable pour les époux : ils assisteront, impuissants, à la répression de l'armée française ; l'école où ils travaillent recevra même un éclat d'obus qui blessera Zahra à la jambe, lui laissant une légère claudication. Djamal, lui, se fera interroger à plusieurs reprises et, vers la fin de la guerre, sera menacé, pour ses positions nationalistes, par l'OAS. Mais la guerre, heureusement, tire à sa fin et le pays ne tarde pas à recouvrer l'indépendance. Le couple a deux enfants, deux garçons. Le père de Djamal demande alors au couple de retourner au bourg. «Tu veux revivre ce que nous avons vécu ? dit Zahra à son mari. Ton père m'interdira certainement de travailler et toi, tu seras sous sa coupe ! — Les choses ont dû évoluer avec la guerre, dit Djamal. Et puis, là-bas, on doit avoir besoin de nous ! — Ici aussi, on a besoin de nous ! — Mon père risque de mal prendre la chose si nous refusons de rentrer ! — Eh bien, toi, rentre, moi je veux rester ici ! Il faut dire que la jeune femme est une femme de poigne et qu'elle sait imposer sa volonté. Djamal va insister pour qu'ils rentrent, mais elle va tenir bon. Et c'est elle qui l'emporte ! Voilà donc le couple installé définitivement à Alger. Avec leurs économies, ils ont acquis, auprès d'un couple européen de leur connaissance qui quittait le pays, une belle maison (à suivre…)