Symbole n Une statue à l'effigie de Mouloud Mammeri domine la place du village et semble souhaiter la bienvenue aux rares visiteurs qui s'obstinent à se rendre encore aux Ath Yenni. La RN30 qui mène de Tizi Ouzou vers Béni Yenni et aux Ouacifs longe à n'en plus finir la rive gauche du lac artificiel formé par le barrage de Taksebt. L'une des plus grandes réserves d'eau douce du pays s'étale sur plus de 7 kilomètres au milieu de collines abruptes. Au sud, se profile le fameux sommet Lalla Khedidja, le plus haut du Djurdjura, qui toise la non moins célèbre Main-du-Juif, montagne baptisée ainsi pour des raisons obscures. Même sans leur blancheur légendaire – nous sommes en juillet et les neiges ne tiennent pas au-delà de mai – les deux pics sont majestueux. Les maquis de broussailles et de chênes verts qui surplombent la route n'en sont pas moins pittoresques. A mesure que la voiture avale les kilomètres, nous nous rendons compte d'un détail qui nous a échappé jusque-là : la route est très peu fréquentée. Seuls des véhicules militaires circulent dans les deux sens sans discontinuer. Au pont de Takhoukht où se rejoignent les routes menant vers Larbâa Nath Iraten et Beni Douala, un immense cantonnement est installé sur le bas-côté de la route. «La région est encore infestée de terroristes. Les faux barrages sont légion, même si, depuis quelque temps, la situation s'est nettement améliorée. Il y a quelques années encore, passer par ici, même en plein jour, relevait de la témérité», nous apprend le chauffeur en appuyant sur le champignon. Il ralentit quelques kilomètres plus loin devant un hameau abandonné pour nous faire savoir que ces masures construites suivant l'architecture d'antan abritent la zaouïa du grand-père du chanteur kabyle Brahim Izri. L'artiste, décédé il y a deux ans, a été enterré ici-même. Vers midi, sous un soleil de plomb, nous entrons dans le village de Taourirt Mimoun qui fait office de chef-lieu de commune et de daïra de Béni Yenni. C'est ici qu'est né Mouloud Mammeri dans la deuxième décade du siècle dernier. L'image du romancier est omniprésente. Une statue à son effigie domine la place du village et semble souhaiter la bienvenue aux rares visiteurs qui s'obstinent à se rendre encore aux Ath Yanni. Un étalier s'affaisse sous un parasol. Les caisses de tomates et de haricots verts soigneusement alignées sont à peine entamées. Le pauvre homme a visiblement du mal à écouler sa marchandise. A l'ombre d'un mur en pierre, des jeunes s'adonnent à une partie de dominos et un adolescent s'amuse à tripoter le clavier d'un téléphone portable. Un transporteur public, étendu sur le siège de son fourgon, derrière ses lunettes noires, scrute minutieusement les ruelles à la recherche d'hypothétiques clients à acheminer vers Tizi Ouzou. «Voilà à quoi est réduit notre village qui, il y a seulement quelques années, éprouvait des difficultés à contenir la foule de visiteurs qui s'y rendait quotidiennement», lance avec regret et nostalgie un quinquagénaire. Cet employé de l'APC est l'un des rares habitants à ne pas avoir cédé au chant des sirènes de la ville. Ni la morosité du quotidien ni les affres du terrorisme n'ont eu raison de son attachement à sa terre natale. Ce qui n'est, hélas ! pas le cas de nombreux pères de famille qui ont déménagé avec femme et enfants abandonnant des oliveraies plus que centenaires, des ateliers de bijouterie et de belles petites maisons, fruit de décennies de labeur…