Ce jour de 1947, le téléphone sonne à la brigade de la police montée de Chenectady, au fin fond du Canada français. — Lieutenant Delanoy à l'appareil. — Ici Marcel Miremont, de la ferme des Castors. Venez vite, c'est affreux, je viens de rentrer de poser des pièges et toute ma famille a été assassinée. — Toute la famille Miremont ? — Oui, tout le monde y est passé : mon père, ma mère, mon frère et même Gustave Quillet, notre ouvrier. C'est affreux un vrai massacre... — Ne touche à rien, mon garçon, nous arrivons tout de suite... En arrivant à la ferme des Miremont, on s'aperçoit immédiatement que Marcel a donné un compte rendu très exact des faits. Il est assis sur un tronc d'arbre, la tête enfouie entre les mains. Le soleil baisse déjà à l'horizon. Le lieutenant Delanoy et ses hommes se bornent d'abord aux constations les plus évidentes. Dans l'entrée de la ferme, on découvre en premier la mère, Gabrielle, la tête éclatée par une balle de gros calibre qui l'a atteinte en pleine bouche. Elle a dû mourir sur le coup. Un peu plus loin dans l'escalier qui mène à la cave, c'est Gilbert Miremont, le père, qui a été abattu d'une balle en plein front ; lui non plus ne s'est pas vu partir. Mais le lieutenant Delanoy pense qu'il a dû apercevoir son assassin. Il a encore une grosse hache serrée dans sa main, comme s'il s'en était emparé pour se défendre... Le frère aîné de Marcel Miremont, Donadieu, est retrouvé dans la grange à foin. Lui a été abattu d'une balle dans le dos. Quant au malheureux Gustave Quillet, l'ouvrier agricole de plus de soixante ans, on le découvre au bord de la mare. Il a encore les yeux ouverts et dans le regard la terreur de la balle qui l'a atteint en plein cœur... Les autopsies indiquent cIairement que toute la famille a été massacrée par la même arme et le même type de balle : un gros calibre pour la chasse à l'élan. Marcel, le seul survivant, est complètement prostré. Il est incapable de donner la moindre indication sur un ennemi de la famille qui aurait pu se rendre coupable d'une telle boucherie. Le lieutenant Delanoy rédige le compte rendu des faits : «Les Miremont sont installés au Canada depuis trois générations. Leurs affaires sont florissantes, mais ils sont loin d'être fortunés. Les deux fils, Marcel et Donadieu, respectivement âgés de quarante et un et quarante-sept ans, sont encore célibataires...» Il faut dire que les occasions de rencontres matrimoniales sont un peu rares dans les forêts canadiennes. Quant aux filles de la ville, inutile de leur demander si elles veulent partir s'enterrer entre les élans et les castors... Au bout de quelques mois, l'enquête tourne en rond. Marcel, faute de mieux, se trouve en première ligne parmi les suspects. Il a un alibi : — J'étais parti depuis deux jours. Je suis rentré en fin de matinée pour découvrir cette horreur. L'autopsie a établi que toute la famille a été massacrée presque vingt-quatre heures avant son retour... Mais aucun témoin ne peut confirmer ses horaires en ce qui concerne la pose des pièges à castors : Quant à son mobile, il pourrait être l'intérêt : — A présent, c'est Marcel Miremont qui hérite de la ferme. Même s'il n'a pas l'intention de rester sur place, il trouvera certainement à vendre la maison qui est très belle et, avec l'argent, il pourrait partir à Montréal au Québec pour s'y installer et se marier. (à suivre...)