Constat n La crise du scénario fait que le travail de mémoire par le biais du cinéma manque de rigueur. Si, dans la littérature, la tragédie nationale – la décennie noire – occupe une place importante dans l'imaginaire des écrivains, au cinéma, le travail de mémoire commence, à peine, à se faire. Si des écrivains se sont aussitôt lancés dans l'écriture des évènements des années 1990, un travail qu'ils ont entamé simultanément avec le début des faits, au cinéma, en revanche, ce n'est que ces dernières années que des cinéastes ont commencé à défricher le terrain. Il se trouve cependant que ce travail de mémoire manque considérablement de rigueur scénaristique ou de rectitude stylistique, et pour cause : les réalisateurs ont saisi à la volée le sujet et l'ont traité à la hâte et d'une façon superficielle. Ils se sont basés seulement sur une idée générale et sans y opérer un développement original, consistant ou probant, donc concluant. Ils ont présenté des œuvres dépourvues de fonds scénaristique, de sincérité historique ou de crédibilité cinématographique. A défaut alors d'un travail d'investigation, ils se sont tout bonnement contentés de reconstituer schématiquement la tragédie nationale. Tous ces films – L'Autre monde de Merzak Allouache, Rachida de Yamina Chouikhe, El Manara de Belkacem Hadjadj, Douar N'ssa de Mohamed Chouikhe, Barakate ! de Djamila Sahraoui, Vivantes de Saïd Ould Khelifa, Morituri de Okacha Touita, Mel Watni de Fatima Belhadj – disent simplement la tragédie nationale, mais ne l'interrogent pas, ne l'expliquent pas. Mel Watni en est un exemple manifeste. Le film semble traiter de la tragédie nationale indirectement et de loin, et cela par le biais de quelques lointains échos qui nous arrivent du dehors : les sirènes d'ambulances ou de voitures de police, des cris, des questions posées sur la santé d'un rescapé d'un attentat… Ce n'est qu'à la fin qu'on voit entrer en action les terroristes. Il se trouve néanmoins que Morituri sort, ne serait-ce qu'un petit peu, du lot, puisque le film interpelle la réalité : il montre que, derrière les attentats et les assassinats ciblés, s'érigent des intérêts individuels. Si Okacha Touita a tenté de questionner l'Histoire, sans trop l'approfondir, préférant ainsi rester dans le politiquement correct, d'autres réalisateurs, comme Mohamed et Yamina Chouikh, ou encore Merzak Allouache et Djamila Sahraoui, ont, en revanche, échoué dans leur entreprise, puisqu'ils se sont contentés de raconter les faits sans les commenter. Belkacem Hadjadj, lui aussi, s'est illustré plutôt comme narratif qu'interrogatif. Pareil pour Saïd Ould Khelifa. Enfin, en dépit de ces carences, il faut se montrer indulgent envers cette production cinématographique et saluer l'effort de ces réalisateurs pour avoir pris l'initiative de dire l'Algérie dans son malheur dans un pays où la pratique cinématographique se raréfie, se limite à des productions ponctuelles. Si tous ces films ont quand même réussi à séduire le public, c'est surtout grâce à l'audace de ces réalisateurs et leur devoir envers la mémoire, pour que nul n'oublie.