Mais quand El-ghoula, un matin, alluma un grand feu sous le gros chaudron et qu?elle le remplit d?eau et de légumes, Aoura comprit que la dernière heure de H?didouène était arrivée. En effet, l?ogresse ne tarda pas à ordonner à sa fille : «Dès que l?eau se mettra à bouillir, tu jetteras dans le chaudron le sac de grosse ficelle où est enfermé H?didouène ; moi, je vais aller chercher mes sept frères !». Avant de sortir, l?ogresse, prudente, recommanda encore à sa fille : «N?ouvre pas le sac ! Sous aucun prétexte ! Il est si futé ce petit H?didouène.» Puis, elle disparut en se léchant d?avance les babines. H?didouène sortit alors de sa poche une petite flûte et se mit à en jouer en sourdine. Aoura, surprise, puis séduite lui demanda : «Joue plus fort H?didouène ! Elle est bien jolie ta musique.» «Je ne peux pas, le sac m?enserre les mains. Mais, je voudrais tellement jouer une dernière fois pour toi !», pleurnicha H?didouène. «Je vais relâcher les liens qui attachent le sac. Tu seras plus à l?aise ; mais chante pour moi, petit, une dernière fois !», supplia Aoura. Dès que ce fut fait, H?didouène se mit à jouer de la flûte plus doucement encore. Pour avoir sa sérénade, Aoura finit par ouvrir totalement le sac, libérant ainsi H?didouène qui joua de la flûte de toute son âme. Aoura, quant à elle, fredonnait sur le même air : «Joue, joue petit, l?eau va bientôt bouillir? Et nous allons bien rire !». Quand l?eau se mit à frémir, Aoura ramassa une grosse louche puis se pencha sur la soupe tout en continuant à chanter plus fort : «Joue, joue petit. Je pousse les légumes si bons Pour te faire un nid Dans mon joli chaudron !». Le rusé H?didouène fit semblant de ne rien entendre. Il conseilla même à Aoura : «Touille bien le fond, les légumes risquent d?attacher !» Aoura l?écouta et, pour bien remuer la soupe, se pencha tant et si bien qu?il ne suffit à H?didouène que d?une pichenette pour la précipiter dans le chaudron où elle se noya. «Tu y cuiras à ma place graine d?ogresse !», dit H?didouène. Le petit malin avait remarqué qu?El-ghoula avait une grande réserve de bois sec ; il creusa une tranchée à l?entrée de sa caverne et y entassa les bûches qu?il imbiba d?alcool et alla se cacher à proximité de la tanière. Bientôt, tous les ogres de la contrée arrivèrent à grand fracas. El-ghoula était à la tête du cortège. La poussière qu?ils avaient soulevée à leur passage était si épaisse qu?ils ne virent pas le piège que H?didouène avait préparé à leur intention. L?ogresse était si heureuse de partager son festin avec ses frères qu?elle ne remarqua même pas l?absence de sa fille. Elle les servit copieusement en marmonnant : «Mes frères sont en train de se régaler : c?est qu?il est bien gras le petit H?didouène ! Il avait raison, le gros malin, les citrouilles l?ont bien fait grossir !» Pendant que les ogres dévoraient leur dernière descendante, H?didouène mit le feu au bûcher à l?entrée. Surpris et pris au piège, les ogres brûlèrent tous ensemble dans leur tanière. C?est ainsi que le petit H?didouène débarrassa à jamais la contrée des ogres qui y sévissaient depuis des siècles.