Rémy Mayrinieu est visiteur médical. Jour après jour, il se rend chez les médecins de son secteur et il attend patiemment que le praticien puisse le recevoir. Il doit alors le convaincre en quelques minutes afin qu'il prescrive les produits de son laboratoire. Les journées sont parfois longues et Rémy a l'habitude de circuler de nuit sur des petites routes de campagne. Ce soir une pluie fine s'est mise à tomber et Rémy, bien qu'il connaisse parfaitement cette petite route départementale des environs d'Auxerre, est attentif. Qui sait ce que peut dissimuler chaque tournant... ? — Aïe ! Qu'est-ce qu'il se passe ? Rémy se pose machinalement la question. Ce qu'il se passe, c'est qu'il vient d'y avoir un accident. Sur le bas-côté de la route, une jeune fille fait des signes désespérés pour que Rémy veuille bien s'arrêter. Un peu plus loin, Rémy distingue une moto couchée dans l'herbe. Un gros engin qui dissimule à moitié un corps immobile. Rémy freine sur le bas-côté. Il met ses feux clignotants en marche et fait descendre la vitre de sa portière droite. Il se penche un peu. Dehors, la jeune femme, vêtue d'un blouson et d'un pantalon de cuir noir, tête nue, le visage ensanglanté, est trempée par la pluie. Elle penche la tête vers lui et dit d'une voix faible : — Monsieur, aidez-moi, nous venons d'avoir un accident avec mon ami. Il ne bouge plus. J'ai peur qu'il ne soit mort. Rémy arrête son moteur et sort de sa voiture. La pluie lui dégouline sur le visage. Il remonte la capuche de sa parka et s'approche rapidement de la moto. C'est un énorme engin. Apparemment il a dû heurter une borne de ciment après un freinage violent sur la chaussée mouillée. La jeune femme dit : — Je n'ai pas pu soulever la moto. C'est beaucoup trop lourd pour moi. Rémy, avant de toucher à l'énorme moto, se penche au-dessus du corps qui est coincé sous l'engin. Il s'agit d'un jeune homme dont le casque gît un peu plus loin. Rémy lui touche la carotide. Il ne ressent aucun battement et fait la grimace : — J'ai l'impression que c'est trop tard. La jeune femme le regarde d'un air hagard. Rémy remarque alors qu'une traînée de sang coule sur le pantalon de cuir. Elle vient sans doute d'une blessure que dissimule le blouson. Rémy se relève et dit : — Je ne peux rien faire pour votre ami. Mais je vais vous emmener à l'hôpital municipal et ils enverront du secours. Voyons, ici nous sommes pratiquement au carrefour de la Grenière. Venez, vous n'aurez qu'a vous allonger sur la banquette arrière de ma voiture. C'est l'affaire d'un quart d'heure. Rémy ouvre la portière arrière de sa Renault et la jeune femme se laisse glisser sur la banquette sans dire un mot. Rémy s'installe au volant et démarre sans perdre un instant. Pendant tout le parcours, il s'abstient de poser la moindre question à sa passagère. Elle a l'air très choquée et n'est certainement pas en état de tenir une conversation. Dès qu'il arrive devant l'entrée de l'hôpital, Rémy se précipite à l'intérieur en laissant son moteur en marche : Vite, j'a une jeune femme blessée sur ma banquette arrière. Elle saigne abondamment et a eu un accident de moto avec un jeune homme. Il faut envoyer du secours. Mais j'ai l'impression qu'il est déjà mort. Ça s'est passé au carrefour de la Grenière en arrivant de Saint-Julien. (à suivre...)