Il existe en Algérie une ville thermale, située non loin de Guelma dans le Constantinois, dont les eaux chaudes sont connues depuis l'antiquité. Les diverses civilisations qui se sont succédé sur ce territoire ont laissé des traces de leur passage : autour de Guelma, on trouve aussi bien des inscriptions phéniciennes que des dolmens d'origine évidemment celtique, peut-être implantés par les Gaulois qui constituaient l'essentiel de la Légion III Augusta et occupèrent cette région et aussi des pierres levées soit plantées de main d'homme, soit d'origine volcanique. Les promeneurs qui s'égarent dans ces campagnes ne sont pas peu surpris de s'y rencontrer soudain, au milieu des buissons de diss et de lentisques, avec des sortes de statues, des hommes en burnous ou en toges, des femmes voilées, certains sujets montés à dos de mulets, des tambourinaires à bendirs plats, des joueurs de cornemuses, un chien. L'imagination populaire a brodé sur le thème de ces statues une légende qui rapporte qu'un homme opulent de cette époque ancienne avait un jour décidé de se marier avec sa sœur. Il s'était acquis pour ce mariage illicite la complaisance coupable d'un magistrat du pays. Il organisa donc une grande cérémonie nuptiale qui débuta par un convoi de la fiancée montée sur un mulet «birdoun» (fils de jument et d'âne, par opposition au mulet «baghel», fils d'ânesse et de cheval) puis de son futur époux son frère, suivis de tambourinaires, de joueurs de ghaïta ainsi que leurs parents et amis et même du chien pour se rendre solennellement chez le magistrat. Mais Dieu qui a toujours maudit l'inceste a pétrifié toute la noce. D'où le nom donné à la station thermale : «Bain des hommes pétrifiés», Hammam meskhoutin. La pétrification est parmi les plus anciennes sanctions de la divinité dans l'histoire des hommes. Le fait de pétrification (maskhout) a d'ailleurs fait l'objet au Maghreb de curieuses discussions casuistiques. On nous a rapporté celle-ci qui serait reprise du savant mystique L'arbi el Hatimi : A Damas, du temps des Omméiades, le Cheikh el Islam avait l'habitude, le vendredi, après la prière du dohor à la grande mosquée, de réunir en une sorte de tribune libre les gens pieux qui avaient à lui poser des questions d'ordre théologique ou moral. Un jour se présenta comme interlocuteur un orateur populaire (Qass) qui dit à ce grand muphti : «Puisque le Koran est la source de tout le droit et qu'il a prévu tous les cas, je voudrais savoir quel délai de viduité il demande aux veuves de meskhautin (hommes pétrifiés) ?» La question était assez imprévue. Le grand muphti demanda trois jours pour y réfléchir. Comme ses recherches le laissaient perplexe, il alla trouver le savant L'arbi el Hatimi qui l'aurait conseillé. De telle sorte que, trois jours après, lorsque devant l'assemblée des fidèles le Qass se présenta à la tribune des questionneurs, le grand muphti lui répondit sans difficulté : «Il faut distinguer deux sortes de «sakht» (pétrification) : celle où l'homme est transformé en animal (comme on prétend que certains prophètes auraient transformé en singes ou en porcs des gens qui avaient refusé de les recevoir), et celle où l'individu concerné est transformé en minéral (la femme de Loth en sel, ou les incestueux de Guelma en pierre). «Dans le premier cas, la personne maskhouta survit dans les animaux et donc son épouse doit respecter le délai de viduité prévu par le Koran pour les vivants (absents, prisonniers, etc.). «Dans le second cas de pétrification minérale, elle n'a qu'à observer le délai légal de viduité prévu dans le cas de la mort du conjoint.» L'orateur contestataire s'inclina devant une réponse aussi péremptoire.