Le 11 juin 1939, il pleut sur Paris, il pleut sur le Louvre. C'est un dimanche, et de nombreux visiteurs se pressent dans les salles. Soudain, un remue-ménage agite les gardiens, spécialement ceux de la salle La Caze. «L'Indifférent a disparu !» Quelle nouvelle ! La célèbre toile de Watteau était suspendue dans cette même salle depuis l'ouverture du musée, c'est-à-dire depuis 1869. Après soixante-dix ans d'indifférence, le personnage charmant s'est échappé. Il faut dire qu'il ne s'agit pas d'une œuvre gigantesque : l'Indifférent ne mesure en effet que 20 centimètres sur 25 ! C'est le docteur La Caze qui en avait fait don au musée, en même temps qu'une importante collection de peintures des XVIIe et XVIIIe siècles, dont la fameuse Finette, qui lui fait pendant. L'Indifférent avait appartenu à Mme de Pompadour... Un guide découvre donc la disparition et prévient l'un des gardiens, qui se rue à la direction. On met le signal d'alarme en branle, et toutes les portes du musée sont fermées. On commence alors une fouille en règle de tous les visiteurs, qui doivent faire contre mauvaise fortune bon cœur. On ne retrouve rien... Quelqu'un a une idée : «Mais ! Vous êtes certain que l'Indifférent n'est pas en cours de nettoyage ou de restauration ?» Après tout, pourquoi pas. On vérifie. Un gardien raconte : «C'est curieux. Au moment approximatif du vol, il y avait beaucoup de monde dans la salle. Je dirais même beaucoup plus que d'habitude. Et le plus bizarre, c'est que tout un groupe de visiteurs m'a demandé des explications sur les œuvres qui se trouvaient... sur le mur faisant face à l'Indifférent. Quand j'ai eu terminé mes explications, un guide qui passait avec un nouveau groupe m'a fait remarquer l'emplacement de l'Indifférent, qui était vide.» Bizarre ! La presse s'empare fatalement de l'événement. Un détective célèbre avance que le vol n'était pas un grand exploit : «Les tableaux ne sont guère difficiles à subtiliser. Ils sont simplement accrochés au mur, et fixés par un fil de fer facile à couper.» La direction du musée s'explique : «S'il n'y a aucune attache de sécurité, c'est à cause du risque d'incendie. S'il venait à survenir, on pourrait mettre les œuvres en lieu sûr sans avoir à perdre trop de temps pour les détacher.» A partir de ce moment, il ne reste plus qu'à alerter tous ceux qui peuvent rencontrer l'Indifférent : douanes, gares, aéroports. On surveille particulièrement le port du Havre, car c'est par là que les Américains regagnent leur pays. Or, des Américains, il y en avait un gros contingent ce jour-là au Louvre. Avec ces gens-là... Toujours rien ! Les gardiens fouillent dans leur mémoire, une seconde fois : «Quelques jours avant le vol, il y avait un peintre, anglais ou américain, qui a passé plusieurs jours à copier l'Indifférent, justement. Une femme l'accompagnait : elle portait son pliant ! Elle tenait une grande enveloppe. Lui avait une moustache. Il était vêtu d'un pantalon gris et d'une veste marron. Il devait avoir une trentaine d'années. En tout cas, il avait un très joli coup de crayon.» «Les Français, bien qu'ils soient désolés, se moquent... du gouvernement. Les journalistes révèlent alors que, dans la panique, ce sont eux qui ont alerté la police, et par téléphone encore... En fait, le sous-directeur du musée avait prévenu non pas les brigadiers du quartier, mais le directeur général des Beaux-Arts, au ministère de l'Education nationale. Puis, il y avait eu une sorte de confusion sur qui devait prévenir qui (à suivre...)