Héritage n Quiconque parcourt la souika ne peut manquer la boutique du brocanteur Messaoud Semri. Une «boutique aux merveilles» où statuettes de bronze patinées par les ans, ustensiles de cuisine d'une autre époque et meubles anciens côtoient un tas de vieilleries hétéroclites dont on arrive à se demander à quoi ils servent et ce qu'ils font là. Il est difficile d'imaginer, à première vue, que ce bric-à-brac ait pu contenir d'authentiques pièces de musée et que bon nombre d'éléments du décor du film Benboulaïd, en cours de réalisation par Ahmed Rachedi, proviennent de la collection privée de Messaoud Semri, le propriétaire de cette petite échoppe laquelle, franchement, ne paie pas de mine. Il faut avoir eu l'occasion ou la curiosité d'entrer et de discuter avec celui que tout le monde appelle ici «Ammi Messaoud» pour se rendre compte que derrière ce petit réduit de quelques mètres carrés, se cache la belle et singulière histoire d'un petit brocanteur qui a pu faire ce que beaucoup de structures aux moyens autrement plus importants n'ont pu réaliser. L'homme a, en effet, pu sauver de la disparition – et de l'oubli – des objets devenus aujourd'hui de véritables pièces de musée. D'ailleurs, la première chose que ce brocanteur atypique exhibe avec fierté à qui s'intéresse à son parcours, c'est le catalogue du musée «Cirta» où figurent imprimées de nombreuses pièces provenant de sa minuscule boutique. Il raconte, l'œil brillant d'orgueil, comment il a pu résister à la tentation matérielle de vendre ces objets au plus offrant, préférant les céder au musée de sa ville. «Comme ça, nous dit-il, elles peuvent servir l'histoire du pays et lorsqu'elles me manquent, je peux toujours aller les voir !». Sur le catalogue du musée «Cirta», le brocanteur militant montre, entre autres, des photos, un fusil en argent où sont finement, gravées des poésies et qui serait l'un des tout premiers fabriqués en terre d'Islam et qui remonterait à la période de l'Etat hafside. Ammi Messaoud raconte aussi comment il a tout fait pour arracher ce fusil à un ancien goumier qui a ramené l'arme de Tunisie et qui s'apprêtait à l'emporter en France lors du grand départ des colons au lendemain de l'indépendance. Beaucoup de pièces qui ont compté dans la collection de ce brocanteur, ont, d'ailleurs, été acquises de la sorte chez les anciens collectionneurs, dont des colons qui ont quitté l'Algérie libérée. Des histoires où la passion des vieilles choses et l'amour du pays ont pu sauver des objets de valeur, Messaoud en a plein. Il cite, entre autres, le cas de cette horloge fabriquée en souvenir de la conquête de la ville d'Oran par le colonialisme français et qui a échoué entre les mains d'un Marocain qui voulait l'emporter dans son pays. Notre brocanteur au patriotisme décidément à fleur de peau, a tout fait et a réussi à l'acquérir et empêcher cette horloge historique – qui figure aujourd'hui parmi les pièces les plus précieuses de sa collection privée – de sortir du pays. Outre sauver de l'oubli et de la disparition des objets témoins de leur époque – après les avoir à tous les coups renovés – Messaoud Semri est également restaurateur de meubles anciens. «J'adore redonner vie à des objets que l'on croit morts», dit-il. Cette autre passion lui a permis de résister depuis près de cinquante ans au chant des sirènes des nouveaux créneaux commerciaux plus «juteux» qui fleurissent chaque jour, juste à côté de sa boutique-musée, sur la rue Mellah-Slimane, l'artère la plus commerçante de la souika.