Photo : A. Lemili De notre correspondant à Constantine A. Lemili Le dernier brocanteur de la ville va-t-il arrêter le métier, fermer boutique et vendre «plutôt tripes et persil même s'il n'y a pas longtemps encore, j'ai pensé à assurer une relève en confiant l'affaire à mon fils», comme il l'affirme lui-même ? Messaoud Sebri est installé à Zeleïka, l'un des quartiers parmi les plus populaires de la...vieille ville. Selon ce qu'il nous dira au cours d'une rencontre un peu tumultueuse en raison de l'acrimonie de notre interlocuteur contre ceux qui ont sollicité ses services et se sont souvent si ce n'est en général...taillés avec des objets d'art de grande valeur, fût-elle de nature affective seulement. Le brocanteur n'a pas arrêté de souffler le chaud et le froid durant notre entretien et d'exercer parfois une certaine forme de chantage en étant favorable à sa publication ou en s'y opposant. En réalité, une colère exprimée a posteriori contre l'équipe et plus particulièrement d'agents faisant partie de la production du film Benboulaïd dont il citera H. M. et T. Y. qui s'inscriront aux abonnés absents à chaque fois qu'il tentera de prendre attache téléphoniquement avec eux. «Je les ai choyés et leur ai remis des objets historiques d'une incontestable valeur. Il y a parmi ces objets des costumes d'époque, des horloges datant du début du siècle et tout autre genre de brocante. Une partie de ces objets devait être compensée par une location dont les détails sont consignés dans une convention écrite et une partie fournie gracieusement et bien évidemment contre restitution à la fin du tournage. Cela n'a jamais été le cas et c'est pour cela que je vais saisir Mme Toumi [la ministre de la Culture, NDLR]», dira-t-il et dans la foulée notre interlocuteur de souligner «avoir eu le privilège, il y a quelques années, de la présence dans sa boutique de la ministre de la Culture» (cela sans doute lors d'un séjour de près de quatre jours de Mme Toumi dans la ville des Ponts à l'occasion du décret exécutif classant Souika patrimoine national). Nous saurons que près de 150 objets ont été remis par le brocanteur à l'équipe du film Benboulaïd. Ils se trouvaient parmi ces objets qui ont été utilisés pour des séquences de tournage dans la prison civile de Constantine, à Arris d'où est natif le chahid, au CHU. Les coups de gueule de Messaoud Sebri revenaient à chaque fois qu'il se souvenait de pièces remises aux officiels parce qu'il saisissait dans une ampleur décuplée une naïveté qui consistait à préserver, pour utilité publique, des témoignages matériels du passé que tout touriste étranger était disposé à chèrement payer comme par exemple ces babouches turques datant de plus de 3 siècles ou encore ce modèle de mousqueton, première arme à feu à avoir été fabriquée artisanalement au Maghreb et plus exactement à Tunis. «Les Tunisiens auraient certainement payé au prix fort cet objet. Non seulement pour le réintégrer au pays mais aussi parce qu'il est sans doute le dernier exemplaire en circulation. J'ai préféré le remettre au musée Cirta où il est exposé, comme d'ailleurs je leur ai remis beaucoup d'autres objets que j'ai parfois récupérés directement de chez moi et qui n'ont jamais été promis à la vente. Je pensais que des raretés comme ça ne pouvaient être la propriété d'une personne. Il était nécessaire qu'elles soient collectives et pour ce faire, le seul moyen d'y parvenir est de les exposer là où chacun de nous peut accéder». Et là encore, nouvel accès de colère de S. Messaoud : «Est-ce que vous pouvez vous imaginer qu'une fois, un jeune fonctionnaire, un soi-disant chasseur d'objets volés ou pillés est rentré dans mon magasin et remarquant un taïmoum [caillou servant aux ablutions] s'en saisira tout en m'informant qu'il allait soumettre l'objet à une analyse. Je ne l'ai plus revu ni lui ni mon taïmoum. Alors vous voyez à chaque fois que je parle aux journalistes, comme par hasard il m'arrive des problèmes.» Effectivement notre interlocuteur dispose d'une bonne liasse d'articles de journaux jaunis à un tel point qu'ils pourront facilement faire partie de sa collection de raretés dans les années à venir. Un peu comme les photos souvenir prises à Constantine par des visiteurs étrangers ou des touristes. Dans le magasin qui n'est pas aussi grand que le laisserait supposer l'activité mais n'est-ce pas là justement la particularité de ces cavernes d'Ali Baba, sont disposées dans un parfait désordre toutes sortes d'objets. Cela va du candélabre multi-branches avec éteignoir à la figurine outrancièrement kitsch et datant certainement du début du siècle en passant par une psyché ou un quelconque objet indéfinissable et que seul, blague à part, le carbone 14 peut dater. Le retrait de ce brocanteur de ce domaine artistique, culturel, identitaire, historique et tout autant onirique serait en réalité, toutes proportions gardées, un désastre pour la culture en général et l'histoire de Constantine en particulier. D'autant plus qu'au-delà de cumuler l'activité de brocanteur et d'antiquaire Sabri Messaoud détiendrait, selon ses propos, l'art unique de préparer le vernis tampon, un produit aussi recherché par les que fabricants de meuble pour le vernissage des meubles dits d'époque médiévale ou royale que l'a été naguère le secret de la pierre philosophale. Ces derniers seraient disposés, semblerait-il, à lui proposer un pont d'or s'il acceptait de leur louer ses services, mais, nous dira-t-il, «je préfère continuer à restaurer les meubles d'époque pour mon seul plaisir personnel». Mais qui se soucierait du fait qu'il continue à exercer ou non son activité, car il ne faut surtout pas oublier que des brocanteurs et des antiquaires, il en existait au moins une dizaine au lendemain de l'indépendance. A. L. Chasseurs d'antiquités et amateurs de brocante Ils existent ceux qui ont pour passion la quête d'antiquités comme il s'en trouve qui, sans jamais désemparer, recherchent des articles de brocante avec l'égale hargne et pugnacité qu'ont d'autres à espérer dénicher le Graal. Med L. est l'un de ceux-là ; il passe son temps dans des échoppes qui, signe des temps et austérité obligent, ont changé de vocation pour devenir des fast-foods mais qui sont, toutefois, restés les ultimes points de chute des «anciens». Il nous dira : «Dans ces lieux, je retrouve les intermédiaires (smasria) d'antan, ceux-là même qui, pour une bouchée de pain, tentent autant que faire se peut de trouver un logis à d'autres personnes plutôt d'extraction sociale modeste. Et c'est, en général, au cours des visites de vieilles bâtisses de la vieille ville que ces courtiers remarquent la présence de meubles très anciens, de postes TSF, de tapis, de vases, d'urnes, de machines à coudre et, parfois, à écrire. J'en ai acquis d'ailleurs une au prix fort mais elle le mérite... Il s'agit d'une Remington qui date de 1926 et qui est demeurée presque nickel. Mon appartement est dans sa quasi-totalité garni d'objets anciens dont une bonne partie que j'ai personnellement restaurée.» Où est passé le «rien à vendre» ? C'est simple : les vieilles l'appelaient «Arianavonte». C'est vrai que phonétiquement c'est ce qui est rapidement compréhensible chez ces acheteurs qui passaient leur temps à rendre visite aux cités dans le but d'y trouver une «affaire». Effectivement, pour obtenir un surplus de place dans des lieux plutôt réduits, les ménagères n'hésitaient pas l'ombre d'une secondeà éliminer tout ce qu'elles considéraient de trop. Or, parmi ce trop peut se trouver un véritable trésor pour qui s'y connaît. Et c'est justement le rôle de ces «Arianavonte» très prompts à scanner du premier regard un objet digne d'intérêt pour d'autres personnes et qu'ils acquièrent, parfois, pour une bouchée de pain. Depuis quelque temps, ces drôles de personnages n'ont finalement plus rien à acheter et leur raréfaction sur le terrain est devenue un autre manque à gagner pour l'identité culturelle locale. Ceux qui pratiquent encore le métier se sont, à leur corps défendant, recyclés en troquant dorénavant des vêtements contre de la vaisselle ou autres babioles.