Jadis vivait un laboureur qui s'appelait Mehmet Agha. Il était très pauvre, travaillait la terre et, comme il n'avait pas une paire de bœufs, il attelait la charrue avec un âne et un bœuf. Il possédait seulement un champ, au bord de la route, entre Halep et Antep et rien d'autre ailleurs. Il était pauvre, mais on l'appelait quand même respectueusement Mehmet Agha. Donc, en bordure de la route, il avait un beau champ, près d'une source, et devant c'était la prairie et la verdure. Il conduisait l'âne et le bœuf, avec des «hue !» et des «dia !». Mais laissons-le labourer tranquille... Entre Halep et Antep les caravaniers allaient et venaient, faisant toujours halte à ce champ, près de la source, où chaque fois ils s'asseyaient, se reposaient, mangeaient, puis continuaient leur route. Comme le laboureur était pauvre, le chef caravanier avait beaucoup d'estime pour lui et, quand il s'arrêtait là avec sa caravane, il l'appelait : «Viens donc un peu ! A force de labourer, tu as tout retourné ! Viens t'asseoir ici, on va fumer une cigarette et manger un peu. Repose-toi donc, tu laboureras ton champ après.» Parce que le laboureur était pauvre, le chef caravanier aimait bien lui offrir à manger et à boire. Le temps passa... Un jour que Mehmet Agha labourait encore son champ de bout en bout, quelque chose accroche la lame de la charrue. Aussitôt, il arrête l'âne et le bœuf avec des «Ooh ! ; Ooh !». Avec une pioche il creuse, déblaie la terre tout autour et retire une cruche de 15 à 20 kilos, toute recouverte d'émail. Une fois la boue et la poussière enlevées, c'était vraiment une belle chose, mais si lourde qu'il la roule avec difficulté et ne peut la soulever. Il se dit : «Holà, c'est un bien bel objet ! Une vraie pièce de musée ! Quand le chef caravanier reviendra, je l'enverrai en cadeau au Padichah d'Halep.» (Tu es pauvre, voyons, tu ferais mieux de casser cette cruche et de regarder ce qu'elle contient... Il n'a même pas une cigarette, il est pauvre, et il a cinq ou six enfants à nourrir.) Le lendemain, le chef caravanier, de retour d'Antep, appelle le laboureur : «Viens donc t'asseoir ici près de l'eau, on va fumer une cigarette ensemble. Tu laboures, tu laboures toujours ! Tu n'en finis jamais avec ce champ. C'est peut-être parce que tu n'en as pas d'autre. Allez viens !» Il laisse là, l'âne et le bœuf et s'approche. Ensemble ils se reposent, fument, déjeunent, ensuite le laboureur emmène le chef caravanier à l'écart pour lui dire : «Avec le bout de ma charrue j'ai déterré quelque chose, c'est un objet tout décoré. Veux-tu le porter en cadeau de ma part au Padichah d'Halep ?» Bien entendu, il accepte par amitié pour cet homme qui est si pauvre et, peu après, il charge le chameau, emportant vers Halep le précieux fardeau destiné au souverain. (à suivre...)