Le couturier s?avança prudemment. Il entrevit dans l?obscurité la silhouette d?une femme. «Dieu qu?elle est belle ! s?exclama t-il, mais pourquoi reste-t-elle donc immobile, est-elle bien en vie ?». Il s?approcha davantage puis la toucha du bout des doigts ; c?est alors qu?il comprit le traquenard : seul son ami était capable de sculpter une si belle statue ! Et c?était pour le simple plaisir de le voir piégé ! Il décida, lui aussi, d?être bon joueur et de surprendre à sa façon le magicien encore endormi. Pour cela, il ouvrit son nécessaire de couture, déplia quelques belles étoffes chatoyantes et se mit au travail. Pendant trois heures, fiévreusement, il mesura, coupa, assembla, broda même ! Quand il eut fini, devant lui, se dressa une dame magnifiquement vêtue ! Rien n?y manquait ni le saroual dziri, ni la veste brodée ou «caraco» qu?on portait à Alger, ni les foulards qui coiffaient les femmes d?antan et qui tombaient en cascade sur les épaules . Assez content de son travail, il alla, espiègle, tirer du sommeil le magicien avant d?aller lui-même s?endormir en riant sous cape. Le nouveau réveillé s?installa près du feu et comme ses amis il s?affaira. Pour cela, il ouvrit sa mallette de prestidigitateur et se mit en devoir de ranger les objets qui s?y trouvaient. Soudain son attention fut attirée par une silhouette de femme qui vibrait sous le souffle du vent. Il se leva sans bruit et s?avança en criant : «Réponds-moi, si tu es humain. Et envole-toi, si tu es djinn ! Approche-toi, si tu es humain, Et disparais, si tu es djinn !». Mais la forme ne répondit, ni ne s?envola ni encore bien moins ne s?approcha ! Le magicien fit quelques pas vers l?apparition: «Ciel quelle belle femme !» s?exclama-t-il. Enthousiasmé par tant de grâce et de beauté, il mit un genou à terre. Gentil homme, il prit la main de l?inconnue pour y poser les lèvres ; mais la raideur des doigts était telle que la fougue de notre galant s?en trouva refroidie ! Il comprit alors le piège : «Ah ! les coquins, ils m?ont bien eu ; mais rira bien qui rira le dernier !», dit notre artiste et par défi, il continua le jeu. Dans les flammes, l?apprenti sorcier commença par jeter une pleine poignée de poudre de diamant étincelante : le feu s?embrasa et une multitude de petits djinns verts en jaillirent comme des étincelles. Pendant que notre sorcier récitait à voix basse des formules magiques, les petits génies aspergeaient d?une eau surnaturelle la statue ! Le magicien mit en ?uvre tout son savoir : il voulait à tout prix donner vie à la statue ! Le soleil se leva enfin ; le verger, encore assoupi, s?empourpra peu à peu. Notre galant, toujours aux pieds de la belle, était plongé dans ses incantations. Au moment même où les rayons du soleil touchèrent la belle dame, les petits djinns verts disparurent comme par enchantement et la statue s?anima. Peu à peu, les doigts que le magicien tenait toujours entre ses mains frémirent. Le sorcier s?était surpassé : le vieil oranger était devenu une femme et mes aïeux quelle femme ! Une fleur ! Instinctivement il l?appela : «Fleur d?oranger !» et la belle releva la tête et lui sourit. Fou de joie, le magicien, avec mille précautions, guida les pas encore incertains de l?inconnue vers le camp. Il l?installa avec mille égards près du feu et lui servit un café. Sans la quitter des yeux et, en attendant le réveil de ses deux amis, il conversa avec la dame, en riant sous cape car il pensait à la réaction de nos deux dormeurs. Quelle ne fut leur surprise quand ils aperçurent la statue bien en vie ! (à suivre...)