Qui ne connaît le monument du mont Rushmore, aux Etats-Unis ? Sinon pour l'avoir examiné de près, du moins pour l'avoir vu sous toutes les coutures grâce au film d'Alfred Hitchcock, La Mort aux trousses, et avoir tremblé pour Gary Grant et Eva Mary Saint, qui sont poursuivis sur les têtes géantes de George Washington, Abraham Lincoln, Theodore Roosevelt et Thomas Jefferson. l'auteur de ces statues colossales creusées à même la montagne est Gutzon Borglum et les têtes géantes dont il est le créateur mesurent soixante-treize mètres de haut. Bien évidemment Borglum, Michel-Ange des temps modernes, n'a pas été seul pour concrétiser son rêve. Une vingtaine d'assistants ont mis quatorze ans à donner vie, en ronde bosse, aux visages des présidents américains. Cette œuvre gigantesque a coûté un million de dollars, qui a été fourni par une subvention de l'Etat et par des dons privés. parmi ceux qui taillent dans la montagne, un ouvrier sans grade : Korczak Ziolkowski. Son histoire ressemble à celle de nombreux émigrés ou fils d'émigrés. Il est né à Boston, de parents polonais comme son nom l'indique. Mais, pour son malheur, ses parents meurent, et le pauvre orphelin est remis aux bons soins d'une institution. Il faut croire que les soins qu'on lui prodigue laissent à désirer, puisque Korczak s'enfuit. Il a seize ans et parvient à se faire engager dans un chantier naval de Boston, où l'on cherche toujours des gars costauds et courageux. Comme il est méticuleux et sérieux, on lui confie une mission particulière : «Ziolkowski, peux-tu essayer de préparer la figure de proue du yacht ? Elle a pris un jeton, en heurtant un quai par mauvais temps.» Et c'est cette mission quelque peu insolite qui déclenche chez lui une vocation. Il se découvre soudain une capacité pour la sculpture. Bientôt les résultats de son travail attirent l'attention, et on parle de lui dans la presse. Il peut quitter son job salissant ; il est de plus en plus connu, et finit par rencontrer une jeune fille d'une famille bourgeoise, qui consent à épouser l'orphelin «polak». Bien qu'il soit tout à fait autodidacte, Ziolkowski voit grandir se réputation de sculpteur. Il réalise des bustes de pierre ou de marbre qui lui valent d'élogieuses critiques dans les expositions. Et pas les bustes de n'importe qui, puisqu'il exécute même celui d'Ignacy Paderewsski, pianiste et compositeur célèbre, et même – durant deux ans – président du conseil de la république polonaise. Cette œuvre est récompensée à l'Exposition mondiale de New York, en 1939. Cette année-là, Ziolkowski va travailler sur le chantier du mont Rushmore. C'est pour lui l'occasion de s'affronter avec les difficultés de la sculpture «rupestre», qui lui semble alors une technique digne de lui. Ziolkowski fait la connaissance d'un chef sioux, Ours debout. Celui-ci, qui lui a tout d'abord écrit, veut que justice soit rendue à son peuple massacré par les hommes blancs. «Il faut que les Blancs sachent que nous, les hommes rouges, avons aussi nos propres héros. — Et qui en particulier ? — Notre grand héros est Cheval fou, celui qui a vaincu le général George Armstrong Custer lors de la bataille de Little Big Horn, le 25 juin 1876. L'année suivante, Cheval fou, alors que la trêve était signée avec les Blancs, tomba dans une embuscade où il fut tué. — Et où ce monument devrait-il s'élever ? — Pour nous, les Collines noires comme vous dites, les Paha sapa en langage sioux, sont un lieu sacré. C'est là qu'il faudrait élever ce monument. (à suivre...)