Résumé de la 10e partie n Même après avoir visité d'autres maisons, Georgie-Ann tient à celle qu'Alexander lui a montrée en premier, et chaque soir, elle y retourne avec lui... L'idée lui en était venue le premier jour, alors que nous tourbillonnions dans le superbe appartement du premier étage. — J'adore cette lumière, du côté nord, dit-il. Et elle, elle vous aime. Ne bougez pas, oui, c'est ça, rien qu'un instant. Laissez-moi voir ce que ça donne. Oh oui, c'est un accord divin, cette lumière et vous. Si je parvenais seulement à rendre ce que je vois, je sais que ma vie en serait à tout jamais transformée. Qui aurait pu refuser ? Je posai donc pour lui, baignée de cette merveilleuse lumière septentrionale, deux ou trois après-midi par semaine. Il cachait le portrait dans un des sombres placards du rez-de-chaussée. Aucun des agents immobiliers ne le trouva jamais. Je dois avouer que j'en fus soulagée. Non que le tableau fût indécent. Il s'agissait d'art. Le fait est qu'Alexander avait choisi de me représenter nue jusqu'à la taille, ou presque. Le bout de mon sein droit était recouvert par mes longs cheveux blonds. A partir de la ceinture, on pouvait voir le drapé d'une robe blanche qui semblait avoir glissé de mes épaules pendant l'exécution du portrait. Dans le fond, encadrés par la fenêtre, on distinguait les pommiers, les pruniers et le poirier. Ils étaient en fleurs lorsque Alexander se mit à l'œuvre. Des fruits apparurent avant qu'il eût fini. Par un splendide après-midi, juste après la séance, Alexander m'apporta une poignée de prunes encore tièdes de soleil, de la couleur des hématomes. Le lendemain, tout en posant, je me surpris à imaginer qu'Alexander me serrait les bras suffisamment fort pour y laisser de telles marques. Car il ne m'avait jamais touchée, voyez-vous, sauf lorsque nous dansions le tango ou bien qu'il rectifiait un petit détail par-ci, par-là: une mèche folle, la position d'un membre... Je ne trouve pas les mots pour expliquer quel effet ça fait de poser à moitié nue, jour après jour, devant un homme qui vous regarde avec la plus totale concentration mais qui, pour autant que vous puissiez en juger, ne vous désire pas. Au bout de quelque temps, un drôle de bruit s'imposa à mes oreilles et je crus y reconnaître le chant de bonnes sœurs cloîtrées, élevées dans l'adoration du Seigneur. Des fiancées du Christ, libérées des besoins humains les plus élémentaires. Comme l'œuvre touchait à sa fin, l'enthousiasme d'Alexander grandissait. — Ça va leur en boucher un coin. J'ai hâte de voir leurs têtes. Je ne vous dis que ça, Georgie-Ann, après l'exposition. Il s'interrompit tandis que j'attendais, le souffle coupé, les mots qui suivraient. —... Je n'aurai plus besoin de vendre une seule maison. Ce n'était pas vraiment ce que j'avais espéré entendre. Car, comme vous l'avez déjà compris, brillant lecteur, j'étais alors complètement entichée d'Alexander. (à suivre...)